Quelques raisons de ne pas s’inquiéter d’un effondrement démographique en Thaïlande
La démographie chinoise à elle seule – même si l’on ne tient pas compte de sa marginalisation croissante dans le commerce mondial, de sa dépendance aux importations de produits alimentaires et d’énergie, et de la politique du président Xi Jinping visant à éliminer de la bureaucratie toute personne susceptible de lui apporter des informations exactes mais indésirables – pourrait faire s’effondrer son économie dans les décennies à venir. D’ici 2050, selon des estimations prudentes, la population en âge de travailler diminuera de 220 millions de personnes, soit environ un cinquième.
Cette situation a suscité de vives inquiétudes quant à la capacité de l'Etat chinois à survivre dans les décennies à venir. La Thaïlande va également connaître un déclin démographique, ce qui a donné lieu à des prédictions tout aussi pessimistes quant à la stabilité future du pays.
La population thaïlandaise en âge de travailler pourrait diminuer d'environ 50 millions de personnes en 2020 à 38 millions en 2050, soit d'environ 400 000 personnes par an (ou également d'environ un cinquième). Dans le même temps, les personnes de plus de 60 ans représenteront environ 40 % de la population d'ici là (contre près de 20 % en 2020).
Il y a déjà presque deux fois plus de personnes de plus de 65 ans que de moins de 14 ans. D’ici 2050, il n’y aura plus que 7,8 millions d’enfants pour 21 millions de retraités et moins de deux travailleurs qui paient leurs impôts et font croître l’économie pour chaque retraité qui sape l’argent de l’État.
La Thaïlande rejoint les rangs des États asiatiques très vieillissants, sans bénéficier de certains des avantages de ces pays.
Singapour, pays ultra-riche, comptait à son apogée une population active de moins de 5 millions de personnes, ce qui nécessite bien moins d’efforts pour attirer quelques millions de personnes à hauts revenus, et l’État peut facilement financer ses retraités.
Le Japon et la Corée du Sud ont des économies bien plus importantes et des citoyens bien plus riches que la Thaïlande. Ces deux pays ont aussi délocalisé leur base industrielle : leurs entreprises investissent à l’étranger, embauchent à l’étranger et vendent à l’étranger avant d’expédier les bénéfices dans leur pays pour payer leurs nombreux retraités. La Thaïlande ne peut pas exporter sa base industrielle.
La Thaïlande a cependant des atouts que ces pays n'ont pas. Elle est habituée à accueillir des travailleurs migrants (peut-être un dixième de sa main-d'œuvre actuelle) et est entourée d'États plus pauvres qui verront leur population en âge de travailler augmenter. Le Cambodge comptera 2,2 millions de personnes de plus dans la tranche d'âge 15-64 ans d'ici 2050 ; le Laos 1,6 million ; la Birmanie 3 millions de plus.
Certes, tous ces jeunes ne s'installeront pas en Thaïlande. Même s'ils le faisaient, ils ne représenteraient que la moitié du nombre de travailleurs dont le pays a besoin. Mais au moins, ces migrants peuvent prendre une part du travail.
Bangkok pourrait également faire preuve d'un peu plus de créativité et essayer d'attirer davantage de travailleurs philippins et indonésiens ; en 2050, la main-d'œuvre indonésienne augmentera de 18 millions et celle des Philippines de 28 millions.
En outre, Bangkok pourrait augmenter son taux de fécondité grâce à des programmes intéressants, comme le financement public des traitements contre la stérilité. Mais même si cela fonctionne, il faudra attendre près de vingt ans avant que ces bébés n'entrent sur le marché du travail.
L'augmentation du nombre de retraités (32 à 38 % de la population d'ici 2050, selon l'évolution de l'âge de la retraite) va représenter un fardeau énorme pour les finances publiques. Mais la Thaïlande n'est pas mal partie sur cette voie.
Le pays affiche déjà l’un des taux de dépenses de santé à la charge des patients les plus faibles d’Asie, en pourcentage des dépenses de santé courantes, ce qui signifie que l’État est habitué à payer pour les services de santé. En 2020, ce pourcentage était d’environ 10 %, contre 35 % en Chine. Les recettes fiscales représentent environ 15 % du PIB, un chiffre bien supérieur à celui de la plupart des pays d’Asie du Sud-Est. Les Thaïlandais sont donc déjà habitués à ce que l’État fouille dans leurs poches, ce qu’il devra faire beaucoup plus dans les années à venir. La dette nationale a grimpé en flèche depuis 2019 pour atteindre environ 60 % du PIB, mais le gouvernement dispose d’une certaine marge de manœuvre.
En 2019, seulement 34 % des personnes de plus de 65 ans vivaient seules ou avec un partenaire, un pourcentage inférieur à celui du Vietnam, le pays d’Asie du Sud-Est qui vieillit le plus rapidement après la Thaïlande. Environ deux tiers des Thaïlandais de plus de 65 ans vivent encore avec des membres de leur famille. Et il y a de la place pour que davantage de Thaïlandais âgés puissent travailler. Le taux de participation au marché du travail des personnes âgées de 65 ans ou plus n’est que de 26 % en Thaïlande, ce qui est assez faible par rapport aux normes de l’Asie du Sud-Est.
La Thaïlande ne risque pas de connaître de pénurie alimentaire. Elle dispose de 0,24 hectare de terres arables par habitant, contre 0,08 pour la Chine ou 0,07 pour le Vietnam. La Thaïlande est le 13e exportateur mondial de produits alimentaires, représentant 2,3 % du marché alimentaire mondial. Le pays aurait un taux d'autosuffisance en aliments de base (riz, poulet, œufs, etc.) d'environ 100 %. En comparaison, Singapour, la Chine, le Japon et la Corée du Sud sont tous des importateurs nets de produits alimentaires, et aucun d'entre eux ne peut rêver d'autosuffisance dans ce domaine.
L'année dernière, la Thaïlande a relancé l'extraction de potasse et le gouvernement estime que le pays possède la quatrième plus grande réserve mondiale de ces minéraux qui permettent de fabriquer des engrais potassiques. Idéalement, la Thaïlande devrait devenir moins dépendante des importations d'engrais dans les années à venir, ce qui lui permettrait de devenir autosuffisante en matière de production alimentaire et d'intrants pour la production alimentaire.
L’automatisation de l’agriculture est nécessaire et le gouvernement fait des efforts dans ce sens. Lorsque les villes s’industrialisent, les agriculteurs sont attirés vers les zones urbaines en raison de l’attrait des salaires plus élevés. Lorsque les fermes s’industrialisent, cela pousse les agriculteurs vers les villes, car il faut moins de mains pour faire le travail.
Heureusement, les villes thaïlandaises peuvent absorber la charge des nouveaux migrants qui s'urbanisent. Le taux d'urbanisation y est d'environ 52 %, contre 66 % en Chine. De plus, l'arrivée prochaine des agriculteurs dans les villes se traduira par un afflux de travailleurs dans les industries urbaines qui manqueront bientôt d'employés.
L'économie thaïlandaise n'est pas aussi dépendante de l'échelle que d'autres économies. En 2019, les Thaïlandais affichaient le troisième taux de productivité le plus élevé d'Asie du Sud-Est, après les Singapouriens et les Malaisiens. Il était bien supérieur à celui des Vietnamiens, des Indonésiens et même des Chinois.
Des réformes dans le domaine de l’éducation et de la reconversion professionnelle sont nécessaires, car la Thaïlande doit compter sur les compétences de sa main-d’œuvre pour attirer des investissements de haut niveau, et non sur sa taille ou son faible coût de la main-d’œuvre. La Chine se retrouvera confrontée au problème inverse : une main-d’œuvre en diminution, relativement improductive.
Tout cela ne veut pas dire que Bangkok ne peut pas tout gâcher. Le gouvernement pourrait renoncer à son programme ridicule de distribution de 14 milliards de dollars et allouer cet argent aux futures mères et aux futurs retraités. Il doit dérouler le tapis rouge aux travailleurs migrants, en particulier aux Philippins. Il doit continuer à améliorer la productivité grâce à l'éducation et à la reconversion professionnelle, car il ne pourra pas rivaliser avec ses voisins proches. Il a également besoin de stabilité politique, et non d'un coup d'État militaire tous les dix ans.