Que se cache-t-il derrière les émeutes meurtrières en Nouvelle-Calédonie ?
La Nouvelle-Calédonie, territoire insulaire français du Pacifique, reste sous l'état d'urgence alors que des émeutes meurtrières continuent de ravager le pays. Voici un bref aperçu de la crise.
Quelle est la gravité des émeutes ?
La Nouvelle-Calédonie connaît une vague de violence d’une ampleur jamais vue depuis les terribles événements des années 1980 – une période de quasi-guerre civile entre partisans et opposants de l’indépendance qui s’est terminée par des accords politiques historiques en 1988 et 1998.
Lors d'émeutes impliquant jusqu'à 9 000 personnes, des destructions et des pillages à grande échelle ont eu lieu dans les infrastructures publiques et les entreprises de la capitale Nouméa. De grandes parties de la ville et des routes principales sont coupées par des barricades. Les dégâts jusqu'à présent ont été estimés à 200 millions d'euros.
Dès midi le 17 mai, il y a eu cinq décès signalés. Deux des morts sont des gendarmes qui ont été abattus (dont un suite à un coup de feu accidentel).
Les trois autres sont des autochtones Kanak (deux hommes âgés de 20 et 36 ans et une femme âgée de 17 ans) qui auraient été abattus lors de deux incidents distincts, probablement par des habitants locaux qui se sont armés pour défendre leurs quartiers. Le gouvernement français a pris la mesure extraordinaire de déclarer l'état d'urgence, qui est entré en vigueur le 16 mai et restera en vigueur pendant au moins 12 jours. Les vols internationaux à destination et en provenance du pays sont suspendus et des couvre-feux sont en place.
Au moins 1 000 gendarmes et policiers ont été déployés, et d'autres devraient bientôt arriver, et l'armée française a été sollicitée pour sécuriser les points stratégiques clés.
Comment les émeutes ont-elles commencé ?
Le catalyseur immédiat de cette crise est une proposition de modification des listes électorales provinciales de la Nouvelle-Calédonie.
À Paris le 15 mai, l'Assemblée nationale française a approuvé un nouveau projet de loi constitutionnelle qui accorderait aux résidents français résidant en Nouvelle-Calédonie depuis une décennie le droit de voter aux élections provinciales.
Le changement proposé ajouterait jusqu'à 25 000 électeurs aux listes électorales locales de Nouvelle-Calédonie. Pour ce faire, il annulerait une mesure de 2007 inscrite dans la Constitution française qui « gelait » les listes électorales provinciales de la Nouvelle-Calédonie pour permettre uniquement aux citoyens français admis à voter aux élections de 1998 (à quelques exceptions près) et à leurs descendants adultes de participer aux élections. élections qui déterminent la politique politique locale et la composition du Congrès du pays.
En modifiant profondément l'électorat sans parvenir à un consensus politique local, la réforme annulerait un élément clé de l'Accord de Nouméa de 1998, qui garantit la paix civile depuis plus de 25 ans et a rendu possible un processus de décolonisation.
Certains Néo-Calédoniens craignent le changement proposé — qui nécessite désormais une ratification à la majorité des deux tiers du Congrès de Versailles — diluerait la part des voix détenue par le peuple kanak.
Le peuple kanak est depuis longtemps mécontent de la domination française. Ils disent permettre aux immigrés français de voter entraverait les chances de la Nouvelle-Calédonie d'accéder à l'indépendance.
Quelle est la trame de fond ici ?
Mais la cause profonde de la crise actuelle réside dans l’échec du gouvernement français à créer en 2021 les conditions d’un troisième référendum sur l’indépendance qui serait au-dessus de tout reproche moral et politique.
L'Accord de Nouméa de 1998 prévoyait jusqu'à trois référendums sur l'indépendance. Lors du deuxième référendum de 2020, le vote en faveur de l'indépendance a atteint un taux très significatif de 47 pour cent. — en hausse de 4 points par rapport au premier référendum de 2018. La force du vote pour l’indépendance a été une grande surprise pour les autorités françaises et les partis « loyalistes » locaux.
Un troisième référendum a eu lieu en 2021 dans des conditions très contestées, en pleine pandémie de COVID-19. Ce timing a été vivement protesté par le mouvement indépendantiste, qui a alors appelé au boycott. Ce boycott a été massivement soutenu et pas seulement par les indépendantistes : le taux d'abstention était de 56 pour cent. Parmi ceux qui ont voté, 96 pour cent ont voté pour le maintien en France.
Bien que le référendum de 2021 ait été techniquement légal, il a été jugé moralement et politiquement défectueux, dans la mesure où la majorité des électeurs, y compris la majorité des autochtones Kanak et des indépendantistes, n’y ont pas participé.
Le gouvernement français et les partis « loyalistes » ont cependant fermement refusé d'admettre qu'il y avait quoi que ce soit de mal dans les conditions régissant le troisième référendum.
Ils soutiennent que les Néo-Calédoniens ont voté trois fois pour rester avec la France ; que l'Accord de Nouméa de 1998 n'est plus adapté à son objectif ; et que bon nombre de ses dispositions, y compris les restrictions électorales, doivent être réformées.
D’une manière générale, le point de vue indépendantiste est qu’il ne peut y avoir de réformes tant que la question du troisième référendum n’est pas résolue.
Les groupes indépendantistes sont disposés à parvenir à un accord sur une réforme électorale à l'avenir, mais ils souhaitent que cela fasse partie d'un accord ou d'un accord plus large qui inclut une voie vers un nouveau référendum et une poursuite du processus de décolonisation, ce qui, à leur avis. n'est pas terminé.
À court terme, ils demandent aux autorités françaises une mission de dialogue et un délai suffisant pour que les négociations se déroulent de bonne foi sans menace d'un changement constitutionnel imposé.
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