La Chine en Afghanistan : myopie, déni et fantasmes
Le 12 avril, la Chine a publié un document en 11 points pour élaborer son approche de l’Afghanistan. Intitulé « Position de la Chine sur la question afghane», la publication du journal a été programmée pour correspondre au début d’une visite de deux jours à Samarcande, en Ouzbékistan, par le ministre chinois des Affaires étrangères Qin Gang pour assister à la quatrième réunion des ministres des Affaires étrangères des pays voisins de l’Afghanistan.
Depuis le départ des États-Unis en août 2021 et la prise du pouvoir par les talibans, la Chine s’est progressivement insérée en Afghanistan. Le document témoigne du fait que Pékin promeut la consolidation du régime des talibans comme solution aux malheurs du pays, tout en rejetant les préoccupations concernant les violations systémiques des droits de l’homme par le régime.
Il est intéressant de noter l’élaboration par la Chine de sa position sur l’Afghanistan concernant « trois aspects » : le respect (i) de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Afghanistan ; (ii) des choix indépendants faits par le peuple afghan ; et (iii) les croyances religieuses et les coutumes nationales de l’Afghanistan. L’installation de l’émirat islamique des talibans, selon cette position, représente curieusement un choix indépendant exercé par le peuple afghan, blanchissant quelque peu l’histoire récente dans laquelle les talibans ont délogé par la force un gouvernement établi et élu et usurpé le pouvoir. Bien que le journal « espère » que les talibans « construiront une structure politique ouverte et inclusive, adopteront des politiques intérieures et étrangères modérées et prudentes », les « trois jamais » énumérés constituent un effort indirect pour parer à toute tentative de forcer l’émirat islamique à changer son cours. Aux yeux de la Chine, c’est au régime taliban, et non à aucune puissance extérieure, d’effectuer ces changements.
Alors que la reconstruction de l’Afghanistan déchiré par la guerre a été une préoccupation pour les pays de la région ainsi que pour la communauté internationale au cours des deux dernières décennies, le document ne reconnaît pas le fait que les politiques du régime taliban ont effectivement bloqué le processus et, ce qui est plus dommageable, inversé bon nombre des réalisations réalisées. Pékin, d’autre part, espère toujours transformer l’Afghanistan d’un pays « enclavé » en un pays « relié à la terre » grâce à l’extension du corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), dans le cadre de l’initiative Belt Road (BRI), en Afghanistan. Le journal affirme que les talibans participent désormais au CPEC.
Les talibans ont en effet manifesté leur intérêt dans l’extension du CPEC en Afghanistan. Cependant, les progrès du projet controversé à l’intérieur du Pakistan ont considérablement ralenti, ajoutant aux frustrations chinoises. Il y a opposition importante au CPEC du Balouchistan, par lequel le CPEC étendu doit passer. Le insurrection baloutche remaniée et unifiée mène des attaques répétées contre le projet et le personnel qui y est associé.
L’Inde reste également opposée au manque de transparence du CPEC et à ce qu’il qualifie de violation de sa souveraineté et de son intégrité territoriale (en raison du passage du CPEC par le Cachemire sous administration pakistanaise). New Delhi catégoriquement s’oppose à l’extension du CPEC aux « pays tiers», ce qui fait de la promesse de « l’intégration de l’Afghanistan dans la coopération et la connectivité économiques régionales » via le CPEC un rêve lointain.
Quatre des 11 points de l’exposé de position traitent du terrorisme, de l’extrémisme et du séparatisme en Afghanistan. Il existe une unanimité considérable au sein de la communauté régionale et internationale concernant la menace posée par les groupes djihadistes en Afghanistan. La province du Khorasan de l’État islamique (ISKP) reste un groupe puissant et violent dans le pays, que le régime taliban n’a pas réussi à contenir. Cependant, les talibans sont restés opposés à toute aide extérieure pour contenir l’ISKP, affirmant qu’ils sont capables de faire face seuls à la menace. En outre, leur position sur al-Qaida et un certain nombre de groupes terroristes régionaux reste vague, au milieu des accusations selon lesquelles l’Afghanistan fournit désormais un environnement opérationnel propice à ces groupes.
La Chine, principalement préoccupée par les insurgés ouïghours, appelle à fournir aux talibans « des fournitures, des équipements et une assistance technique indispensables » dans le cadre de cadres de coopération « bilatéraux et multilatéraux ». Des rapports récents indiquent que la Chine a peut-être déjà commencé à fournir des armes létales aux talibans pour lutter contre le terrorisme, sans aucune assurance que ces armes seront utilisées uniquement contre des groupes terroristes et non contre l’opposition politique des talibans, comme le Front de résistance nationale (NRF). Certaines de ces armes, comme Drones d’attaque Blowfishpeuvent avoir été directement livrés aux talibans et d’autres ont traditionnellement été acheminé par l’Iran. La position de la Chine n’est donc pas seulement une tentative de financement participatif des capacités antiterroristes de l’Émirat islamique, mais de renforcer sa capacité à réprimer toute son opposition.
Le document de position appelle en outre les États-Unis à restituer les avoirs gelés à l’étranger de l’Afghanistan, à lever les sanctions contre les talibans et à fournir l’aide humanitaire promise, ce qui, selon la Chine, est le « plus grand facteur externe qui entrave une amélioration substantielle de la situation humanitaire en Afghanistan ». .” Il reproche à « l’ingérence militaire » et à la « transformation démocratique » des forces extérieures en Afghanistan au cours des quelque 20 dernières années les « pertes et souffrances énormes subies par l’Afghanistan ». Il ne tient pas compte du fait que les politiques obscurantistes du régime taliban ont été à elles seules responsables de l’annulation des réalisations importantes obtenues grâce à d’énormes ressources et sacrifices consentis au cours des deux dernières décennies.
Le retrait américain d’Afghanistan a en effet fourni à la Chine l’occasion d’essayer de renforcer un cluster anti-américain en Afghanistan composé principalement de la Russie, de l’Iran, du Pakistan et de certaines des républiques d’Asie centrale. Cependant, il y a peu de preuves jusqu’à présent qu’à l’exception de la perspective anti-américaine au vitriol qui les unit, ce groupe a un plan concret pour sortir l’Afghanistan et son peuple du bourbier de la violence, de la pauvreté et de la faim.