20 milliards de dollars d’ici 2030 : est-ce réaliste ? Évaluation des ambitions commerciales agricoles entre la Chine et l’Afrique
Cela n'a pas été très médiatisé, mais en novembre 2023, dans le Deuxième Forum sur la coopération agricole Chine-AfriqueLa Chine s’est engagée à atteindre un objectif avec l’Afrique qu’aucun autre partenaire de développement n’a atteint. Elle s’est engagée à « porter la valeur des échanges de produits agricoles à plus de 20 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie ».
Cet objectif s'inscrit dans le cadre d'une stratégie plus large de la Chine visant à renforcer ses liens économiques avec l'Afrique, notamment les engagements pris en 2021 lors du huitième Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), un événement de grande envergure et de haut niveau. Ces objectifs prévoient notamment que le commerce total entre l'Afrique et la Chine atteigne 300 milliards de dollars d'ici 2024 et que les importations en provenance d'Afrique vers la Chine atteignent une valeur totale de 300 milliards de dollars sur trois ans.
Dans ce contexte, 20 milliards de dollars semblent peu, mais c’est un objectif ambitieux. Les échanges agricoles de l’Afrique avec la Chine ne valaient que 9 milliards de dollars en 2023, soit seulement 3 % des importations agricoles totales de la Chine. Pour atteindre cet objectif, il faudrait donc plus que doubler les exportations agricoles en seulement six ans. Mais cela a déjà été fait.
Selon données Selon le ministère chinois de l'Agriculture, entre 2000 et 2018, le commerce agricole a augmenté de 965 %, passant de 650 millions à 6,92 milliards de dollars. Entre 2018 et 2013, le commerce a augmenté de 35 %, passant de 6,92 milliards à 9,35 milliards de dollars. Pour atteindre l'objectif de 20 milliards de dollars d'ici 2030, le commerce devra croître de 114 % entre 2023 et 2030, ce qui rend l'objectif ambitieux mais pas sans précédent.
En outre, depuis le 8e FOCAC, la Chine a mis en œuvre des initiatives clés pour stimuler le commerce agricole avec l’Afrique, ce qui sera utile.
Premièrement, l’initiative « Green Lanes » a été introduite pour faciliter les importations agricoles africaines grâce à des procédures d’inspection et de quarantaine accélérées et à de nouveaux accords sanitaires et phytosanitaires (SPS). Seize nouveaux produits agricoles africains provenant de onze pays ont bénéficié de cet accès simplifié au marché chinois depuis le FOCAC 8, contre 11 produits agricoles provenant de six pays entre 1998 et 2021.
Deuxièmement, la Chine a réduit les droits de douane sur certains pays et produits. À la fin de 2023, 27 pays africains classés parmi les moins avancés bénéficiaient d’un traitement tarifaire nul sur 98 % de leurs exportations vers la Chine.
Troisièmement, la Chine s’est engagée à fournir 10 milliards de dollars de financement commercial pour les exportations africaines. Bien que peu d’informations aient été rendues publiques sur les institutions qui fournissent ce financement et sur les lieux où il est accordé, certaines organisations africaines ont certainement été impliquées. Par exemple, en août 2023, la Banque de développement de Chine et la Banque africaine d’import-export ont signé un accord de financement. une facilité de prêt de 400 millions de dollars tsoutenir les PME africaines engagées dans le commerce intra-africain et les secteurs productifs, en s'alignant sur des initiatives telles que la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA).
Quatrièmement, et enfin et surtout, les expositions économiques et commerciales Chine-Afrique (CAETE) de 2022 et 2023 à Changsha et à Nairobi, respectivement, ont également fait la promotion de plusieurs produits agricoles africains aux côtés d'autres diffusions en direct et événements promotionnels parrainés par le gouvernement chinois en 2022.
Toutefois, comme indiqué lors d’un récent dialogue commercial Chine-Afrique à Beijing, organisé conjointement par l’Union africaine et Development Reimagined, malgré ces avancées, deux contraintes assez contraignantes subsistent sur les progrès et, par conséquent, sur l’objectif de 20 milliards de dollars.
Premièrement, le manque d'engagement direct des PME et organisations africaines dans les initiatives du FOCAC constitue un défi, compte tenu de la diversité des pays africains et de l'importance des connaissances locales en matière de techniques agricoles, de produits agricoles et de marchés. Il n'est pas viable de mettre en place des programmes de promotion commerciale qui soient très éloignés des parties prenantes africaines.
Deuxièmement, le sous-développement des chaînes de valeur, l’insuffisance de la mécanisation et la forte dépendance à l’égard des précipitations imprévisibles continuent d’entraver la productivité agricole en Afrique, et cela ne fera que devenir plus difficile avec le changement climatique.
Que faut-il donc faire maintenant pour que l’objectif de 20 milliards de dollars d’ici 2030 devienne réalité ? Plusieurs mesures sont essentielles et, à moins de 65 jours du neuvième Forum sur la coopération sino-africaine qui se tiendra à Beijing en septembre prochain, ces mesures pourraient servir de base à de nouvelles mises à jour stratégiques et complètes de la politique agricole sino-africaine.
Premièrement, il est nécessaire d’accroître les prêts directs et concessionnels en faveur des infrastructures agricoles africaines, notamment l’irrigation, les installations post-récolte et les transports, afin de réduire les pertes et d’améliorer la productivité.
Deuxièmement, il faut continuer à accélérer mais aussi à élargir l’initiative Green Lanes pour se concentrer sur les produits agricoles africains à valeur ajoutée et finis, ce qui aidera ces produits à entrer et à être compétitifs sur le marché chinois.
Troisièmement, reconnaître et protéger les indications géographiques (IG) africaines comme le thé Rooibos peuvent augmenter leur valeur marchande en Chine, à l’instar des produits européens comme le champagne français et le prosciutto italien.
Quatrièmement, il est essentiel de fournir des capitaux propres et des dettes moins chères aux investissements du secteur privé chinois dans le secteur agroalimentaire africain – notamment par le biais de coentreprises, comme c’est le cas en Chine – pour renforcer les capacités locales de production de produits compétitifs à valeur ajoutée.
Cinquièmement, il est grand temps de mettre en place un partenariat entre les banques chinoises et africaines pour aider les PME africaines. Un fonds pourrait être créé pour promouvoir l’innovation technologique, les machines agricoles et d’autres formes de soutien ciblé aux petits et moyens agriculteurs et aux agro-entrepreneurs.
Sixièmement, l’exploitation des plateformes de commerce électronique chinoises pour stimuler les ventes de produits de marque africains peut considérablement améliorer la pénétration du marché.
Septièmement et enfin, aligner davantage la coopération commerciale agricole sino-africaine sur la ZLECA en élargissant l’accès en franchise de droits – en particulier pour les produits à valeur ajoutée – à l’ensemble du continent renforcera l’intégration régionale et la compétitivité.
En conclusion, pour atteindre l’objectif de 20 milliards de dollars d’ici 2030, il faudra plus que doubler les 9 milliards de dollars actuels d’exportations agricoles de l’Afrique vers la Chine. Cela peut paraître ambitieux, en effet – aucun autre partenaire de développement n’a un objectif pareil avec l’Afrique – mais il est possible d’y parvenir grâce à des efforts stratégiques. Si le FOCAC 9 peut servir de tremplin aux actions de soutien nécessaires à cet objectif, la Chine et l’Afrique pourraient bien être en mesure non seulement d’atteindre, mais aussi de dépasser cet objectif.