Le rôle de la Thaïlande dans l’avenir de la fabrication automobile allemande
La récente découverte d’importants gisements de lithium dans la province méridionale de Phang Nga, en Thaïlande, pourrait constituer un développement crucial, avec des implications économiques et diplomatiques pour le pays. Cette découverte intervient au milieu d’un regain d’activité des constructeurs de véhicules électriques (VE) allemands et chinois dans la région, reflétant une course mondiale pour sécuriser des ressources critiques pour le marché en plein essor des véhicules électriques.
Les gisements de lithium en question étaient à l’origine sur le point d’être parmi les plus riches du monde. Cependant, des éclaircissements ultérieurs ont jeté le doute sur ces affirmations initiales. Il a été révélé que la taille initialement annoncée du gisement (14,8 millions de tonnes) faisait référence à des ressources minérales comprenant de la lépidolite, un minéral commun contenant du lithium, avec une teneur réelle en lithium d’environ 0,45 % seulement. Cet écart important a conduit à des débats au sein de la communauté scientifique et parmi les responsables gouvernementaux sur l’importance de la découverte.
Jessada Denduangboripant, professeur à l’Université Chulalongkorn, a rappelé la réalité via sa page Facebook, estimant que la quantité réelle de lithium extractible pourrait être seulement d’environ 60 000 à 70 000 tonnes. Ce chiffre contraste considérablement avec l’annonce initiale et a conduit à demander une évaluation plus précise des gisements.
Alors que le Premier ministre thaïlandais, Srettha Thavisin, cherche à relancer l’économie stagnante du pays, son administration capitalise stratégiquement sur le secteur des véhicules électriques pour favoriser le progrès industriel.
La vision du marché thaïlandais des véhicules électriques est double : amplifier la production pour atteindre un objectif de 30 % de véhicules zéro émission d’ici 2030, soit à peu près l’équivalent de 1,4 million de véhicules, et déployer le package EV 3.5. Cette initiative est une invitation ouverte aux nouveaux fabricants, offrant un système de soutien complet à l’industrie des véhicules électriques, comprenant des réductions d’impôts et des subventions importantes ainsi qu’une réduction des droits d’importation pour les entreprises de véhicules électriques qui s’installent en Thaïlande.
Simultanément, l’octroi par le gouvernement de subventions substantielles pour une gamme de véhicules électriques, adaptées au type de véhicule et à la capacité de la batterie, pouvant atteindre 2 900 dollars par véhicule, souligne cet engagement. L’objectif est d’accroître l’adoption par les consommateurs et de catalyser le marché, faisant ainsi de la Thaïlande une pierre angulaire de l’innovation et de l’adoption des véhicules électriques dans la région.
En Asie du Sud-Est, la Thaïlande est déjà solidement établie en tant que pôle de fabrication automobile. L’industrie automobile thaïlandaise a débuté dans les années 1960 et est devenue un centre majeur de fabrication automobile dans les années 1970, contribuant ainsi de manière significative à l’industrialisation du pays. Suite à des politiques gouvernementales stratégiques, la Thaïlande est devenue un exportateur automobile important, avec de grandes entreprises japonaises comme Toyota et Nissan en tête du marché.
La construction automobile représentant désormais environ 10 % du PIB, orienter de manière décisive son secteur manufacturier crucial vers l’adoption des véhicules électriques est une priorité du gouvernement thaïlandais. Ce changement stratégique s’inscrit dans le contexte d’un changement de paradigme mondial dans l’industrie automobile, où la réussite des changements structurels vers la fabrication de véhicules électriques pourrait très bien déterminer quels fabricants prospéreront au cours de la décennie à venir.
Pour certains pays, l’importance de ces changements structurels ne peut être surestimée. L’économie allemande, aux prises avec les défis d’une récession, commence à montrer des vulnérabilités structurelles. Le modèle économique allemand traditionnel, qui a longtemps dépendu d’un approvisionnement énergétique abordable en provenance de Russie et de solides marchés d’exportation en Chine, se trouve désormais à la merci des tumultes géopolitiques. Le secteur automobile représentant environ 5 % du PIB allemand, soit le plus grand des différents secteurs manufacturiers du pays, tout faux pas dans la transition cruciale vers les véhicules électriques pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour la stabilité économique du pays.
Au milieu des changements stratégiques dans l’industrie automobile mondiale, les constructeurs automobiles allemands sont confrontés au double défi de s’adapter à la révolution des véhicules électriques et de diversifier leur marché et leur empreinte de production, en particulier en réponse aux problèmes géopolitiques et aux pressions concurrentielles en Chine. Dans ce contexte, le « dérisquage » et le « découplage » représentent les approches stratégiques utilisées par des pays comme l’Allemagne pour gérer leurs relations économiques et géopolitiques avec la Chine. L’approche de l’Allemagne implique de diversifier les échanges commerciaux et de réduire la dépendance à l’égard de la Chine pour atténuer les risques sans rompre les liens, une stratégie qui pourrait se fondre dans le découplage à mesure que les politiques de l’UE évoluent. Cela nécessite non seulement un recalibrage des stratégies de marché des constructeurs automobiles allemands, mais également une diversification géographique de leurs bases de production.
En ce sens, la Thaïlande apparaît comme un allié potentiel clé pour l’Allemagne dans cette période de transition cruciale. Bien que le pays soit un allié traditionnel des États-Unis dans la région, la Chine y a réalisé des progrès diplomatiques substantiels, notamment depuis 2014.
Grâce à la proactivité du gouvernement thaïlandais qui propose des incitations, notamment des allégements fiscaux et des subventions pour la production de véhicules électriques, le secteur automobile allemand, y compris des acteurs majeurs comme Mercedes-Benz, considère la Thaïlande comme une plaque tournante cruciale en Asie. Au cours du seul premier semestre 2023, les entreprises allemandes ont investi plus de 150 millions d’euros dans le secteur automobile et mécanique thaïlandais, signe d’une forte confiance dans le potentiel du pays en tant que base de fabrication et d’exportation de véhicules électriques et de technologies associées.
Mercedes-Benz a positionné stratégiquement la Thaïlande dans son réseau de production, en lançant dans le pays le Mercedes-EQS entièrement électrique et ses batteries lithium-ion. L’importance de la Thaïlande dans la stratégie automobile allemande à l’étranger est soulignée par la création de la sixième usine mondiale de batteries pour véhicules électriques de Mercedes-Benz en 2018, reflétant un engagement plus profond envers le marché des véhicules électriques dans la région.
Le positionnement stratégique de la Thaïlande en tant que lien manufacturier s’étend bien au-delà du champ d’action des constructeurs automobiles allemands. Ses coûts de main-d’œuvre compétitifs et son climat d’affaires favorable, façonnés par des cadres politiques et administratifs favorables, attirent depuis longtemps un ensemble diversifié d’acteurs. Historiquement, les entreprises japonaises ont maintenu une solide présence manufacturière en Thaïlande, centrée sur le secteur automobile, et le pays est aujourd’hui témoin d’une vague d’investissements de la part de concurrents chinois émergents.
Il est important de noter que Great Wall Motor a fait des progrès en commençant la production de ses véhicules électriques en Thaïlande, notamment le GWM Ora 03, le premier véhicule électrique chinois produit en série et fabriqué en dehors de la Chine. En outre, l’arrivée d’autres constructeurs chinois de véhicules électriques, tels que BYD et Changan Automobile, en Thaïlande témoigne d’un intérêt croissant de la part des entreprises chinoises pour tirer parti du potentiel manufacturier thaïlandais.
Les manœuvres de l’industrie automobile ne sont pas simplement dictées par le marché, mais sont profondément liées aux courants géopolitiques. Les constructeurs automobiles allemands sont confrontés aux complexités des relations UE-Chine, en particulier compte tenu des potentielles représailles chinoises face au contrôle de l’UE sur les subventions. Cette tension souligne les défis auxquels sont confrontées les entreprises allemandes dépendantes des vastes marchés chinois dans un contexte d’escalade des tensions sino-américaines.
Le contexte intérieur allemand ajoute à cette dynamique, avec des débats internes sur la politique des véhicules électriques qui s’intensifient. L’approche du ministre de l’Économie Robert Habeck (Parti Vert) a été critiquée pour son potentiel retard par rapport à ses concurrents et son obstacle à l’adoption des voitures électriques, une affirmation qui fait écho aux appréhensions plus larges de l’industrie quant à la rupture des liens avec la Chine.
À la recherche de marchés et de lieux de production alternatifs, certains défenseurs de l’industrie allemande se tournent vers l’Asie du Sud-Est et l’Inde pour diversifier leur empreinte mondiale. Pourtant, ce pivot stratégique pourrait entrer en conflit avec la politique étrangère allemande axée sur les valeurs, défendue par des personnalités comme la ministre des Forges Annalena Baerbock (également du Parti Vert), qui met l’accent sur des questions telles que les droits de l’homme et les principes démocratiques.
Le cas des activités du roi de Thaïlande Vajiralongkorn en Allemagne résume ces complexités, où les sensibilités diplomatiques se croisent avec les lois et valeurs nationales. Vajiralongkorn a été étroitement surveillé en Allemagne, notamment par Baerbock, pour d’éventuelles divergences fiscales liées à ses biens et à son héritage en Bavière et pour avoir mené des affaires politiques depuis le sol allemand, ce qui contredit la politique étrangère allemande et les attentes juridiques. Les responsables allemands ont fait part de leur position au gouvernement thaïlandais, soulignant que les activités menées sur le sol allemand doivent être conformes au droit allemand et aux normes internationales en matière de droits de l’homme.
Face à ces différents défis, l’Allemagne a entamé un engagement diplomatique avec la Thaïlande, souligné par la visite du président Frank-Walter Steinmeier dans le royaume la semaine dernière. Lors d’une réunion avec Srettha, Steinmeier a discuté de l’élévation des relations entre la Thaïlande et l’Allemagne au rang de partenariat stratégique. Cette discussion a porté notamment sur les technologies d’énergies renouvelables et les véhicules électriques. Steinmeier a également visité l’usine Mercedes-Benz dans la province de Samut Prakan, célébrant la production de la 200 000e voiture de l’entreprise en Thaïlande.
Alors que l’Allemagne est aux prises avec des défis économiques multiformes, elle sera obligée de trouver un équilibre entre ses intérêts économiques et stratégiques et sa philosophie de politique étrangère fondée sur des valeurs – un dilemme qui incarne les compromis entre pragmatisme économique et diplomatie de principe. Alors que des pays comme la Thaïlande ou le Vietnam ont potentiellement tout à gagner des changements stratégiques dans la politique étrangère allemande, les élections allemandes, européennes et américaines des prochaines années jetteront la lumière sur la voie à suivre pour les relations entre l’Allemagne et l’Asie du Sud-Est.