Comment maintenir la paix à Gaza

Comment maintenir la paix à Gaza

Depuis plus de dix mois, la guerre fait rage dans la bande de Gaza, avec des conséquences catastrophiques. Israël a considérablement affaibli les capacités militaires du Hamas, mais au prix d'un nombre effarant de morts et de destructions massives. Même si le Hamas ne représente plus une menace sérieuse pour Israël, le groupe survivra probablement sous une forme ou une autre.

Alors que Washington et les gouvernements de la région cherchent désespérément à mettre un terme aux combats et à trouver un arrangement pour le lendemain, nombreux sont ceux qui envisagent de déployer une mission internationale de maintien de la paix à Gaza. Ils espèrent qu’une telle mission pourrait faire respecter un cessez-le-feu, stabiliser le territoire dévasté et, à terme, le reconstruire. Et même si l’autorisation et le déploiement d’une telle mission semblent aujourd’hui peu probables, certains éléments montrent qu’Israël, l’Autorité palestinienne (AP) – qui gouverne certaines parties de la Cisjordanie – et un nombre croissant de pays arabes sont de plus en plus ouverts à cette idée. En juillet, Lana Nusseibeh, une diplomate émiratie, a annoncé que les Émirats arabes unis (EAU) seraient prêts à fournir des forces à une « mission internationale temporaire » à Gaza, devenant ainsi le premier pays à le faire.

Une mission de maintien de la paix pourrait être le meilleur moyen d’aider Gaza à se remettre sur pied. En effet, la brutalité de l’attaque du Hamas du 7 octobre et le carnage qui a suivi à Gaza ont rendu impossible un retour au statu quo ante. Reconstruire Gaza prendra des années et nécessitera des niveaux de financement et de mobilisation extraordinaires. Il est peu probable que les donateurs potentiels envoient les fonds nécessaires tant que le Hamas restera au pouvoir. L’Autorité palestinienne dans sa forme actuelle ne peut stabiliser ou reconstruire Gaza par elle-même. Et si les forces israéliennes restent sur le terrain, leur présence entravera tout effort significatif visant à apporter des secours. Un effort international massif est nécessaire pour assurer l’ordre public, rouvrir les écoles et les hôpitaux, nettoyer les décombres et retirer les munitions non explosées.

Les missions de maintien de la paix récentes sont loin d’être parfaites. Les États-Unis, par exemple, ont échoué de manière catastrophique à créer une alternative au régime taliban en Afghanistan, et la mission de l’ONU au Mali a été chassée par une junte militaire l’année dernière. Un nombre croissant de critiques affirment que les interventions de maintien de la paix sont inefficaces et ne peuvent tout simplement pas gérer des transitions politiques complexes. Bien que nombre de ces critiques soient fondées, il est erroné de confondre les missions de maintien de la paix avec les processus politiques qu’elles sont censées accompagner. Les opérations de maintien de la paix sont censées n’être que des mesures à court terme destinées à faciliter les changements politiques, jamais des solutions aux conflits en elles-mêmes. Et certaines missions de maintien de la paix, notamment au Moyen-Orient, ont contribué à mettre fin à des guerres, à renforcer des accords et à prévenir des escalades militaires.

Une mission internationale peut être efficace à Gaza, mais Israël, l’Autorité palestinienne et les États-Unis devront fixer les conditions de son succès. Washington doit mieux coordonner les efforts humanitaires de ses partenaires. Les dirigeants israéliens et palestiniens devront faire de dures concessions pour convaincre les autres pays qu’une mission vaut la peine d’être rejointe. Et, surtout, Israël et le Hamas devront accepter un cessez-le-feu.

LE BERCEAU DU MAINTIEN DE LA PAIX

Le concept de maintien de la paix est né du conflit israélo-arabe. La première force multinationale armée de maintien de la paix moderne, la Force d'urgence des Nations Unies, a été créée à la suite de la crise de Suez en 1956, lorsque le Royaume-Uni, la France et Israël ont envahi l'Égypte pour s'emparer du canal de Suez. La FUNU a supervisé le retrait israélien des territoires égyptiens du Sinaï et de Gaza et est restée déployée du côté égyptien des lignes de cessez-le-feu pendant un peu plus de dix ans pour réduire les tensions et dissuader les combats. La FUNU a d'abord été considérée comme un énorme succès pour l'ONU naissante. Les États membres ont réclamé à cor et à cri des troupes. L'administration Eisenhower a considéré qu'il s'agissait d'une victoire diplomatique majeure, d'autant plus qu'elle a eu lieu pendant l'invasion soviétique de la Hongrie, l'un des moments les plus tendus de la guerre froide.

Mais une décennie seulement après la création de la force, le cessez-le-feu entre Israël et l’Égypte, renforcé par le déploiement de la FUNU, s’est effondré. Le défaut fatal de la FUNU, qui affecte encore aujourd’hui la plupart des missions de maintien de la paix, est qu’elle exigeait le consentement légal d’un belligérant pour se déployer sur son territoire – l’Égypte, dans le cas de la FUNU. En conséquence, la FUNU était vulnérable aux caprices du Caire et, en 1967, le président égyptien Gamal Abdel Nasser a révoqué son consentement à la mission, et l’ONU a décidé de retirer la force d’urgence. La décision de Nasser a contribué à déclencher la guerre des Six Jours, qui a profondément transformé la nature du conflit et a abouti à l’occupation de Gaza par Israël.

Le maintien de la paix en tant que concept est né du conflit israélo-arabe.

Les forces de maintien de la paix ont continué à se déployer sur les différentes lignes de fracture du conflit israélo-arabe. En 1974, par exemple, la Force des Nations Unies chargée d’observer le désengagement a été créée pour renforcer l’accord entre Israël et la Syrie qui a mis fin à la guerre du Kippour de 1973. Cette force, toujours en place aujourd’hui, maintient une zone tampon le long des lignes de cessez-le-feu sur le plateau du Golan. Malgré des périodes d’instabilité, les deux pays continuent de s’y conformer. Le traité de paix égypto-israélien de 1979, négocié par les États-Unis, a créé la Force multinationale et observateurs, une force de maintien de la paix non onusienne qui supervise la mise en œuvre du traité et qui est aujourd’hui composée de troupes de 13 pays.

D’autres missions ont été plus ardues. L’histoire de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban montre combien il est difficile de travailler dans un territoire où règnent des acteurs non étatiques puissants et un vide de gouvernance, comme c’est le cas aujourd’hui à Gaza. La FINUL a été déployée à l’origine en 1978 pour superviser le retrait israélien du territoire libanais dont les Israéliens s’étaient emparés lors de leur lutte contre les militants palestiniens. Le mandat actuel de la FINUL découle de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a mis fin à la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah, une milice libanaise considérée par la plupart des gouvernements occidentaux comme un groupe terroriste. La résolution a défini les dispositions du cessez-le-feu et a appelé à une augmentation significative du déploiement de troupes pour agir comme moyen de dissuasion. À l’époque, cela a suffi à faciliter la cessation des hostilités.

Mais la résolution 1701 n’a jamais été pleinement mise en œuvre. Le Hezbollah était déterminé à reconstruire son arsenal au Sud-Liban, en violation de la résolution. La FINUL n’a jamais été en mesure – ni n’a eu le mandat – de l’affronter. Pendant un temps, beaucoup ont considéré qu’une FINUL paralysée valait mieux que pas de mission du tout. Mais l’attaque du 7 octobre et la reprise des hostilités qui a suivi entre Israël et le Hezbollah ont changé la donne. Désormais, toute force internationale déployée le long de la Ligne bleue qui sépare le Liban d’Israël devra être remaniée.

UN MODÈLE POUR GAZA ?

Les missions de maintien de la paix déployées jusqu’à présent au Moyen-Orient appartiennent toutes à la première génération de forces de maintien de la paix, dites « d’interposition ». Ces missions se limitent à des tâches élémentaires et essentiellement symboliques. Elles servent de tampon entre les forces belligérantes et peuvent rendre compte et faciliter la mise en œuvre de traités ou d’accords. Elles peuvent, par exemple, vérifier que chaque partie respecte les limites imposées au déploiement d’armes dans une zone donnée.

Mais Gaza a besoin d’une mission beaucoup plus complexe, du type de celles déployées au Kosovo et au Timor-Leste. Ces missions plus complètes impliquent une configuration plus large d’agences des Nations Unies et d’agences internationales et, en plus d’assurer la sécurité, peuvent servir d’administrations temporaires. Elles peuvent contribuer à offrir une aide humanitaire et une aide au développement, soutenir les autorités locales en rétablissant l’ordre public, fournir des services essentiels tels que la santé, l’éducation et l’électricité, et faciliter un effort de reconstruction soutenu par la communauté internationale. Pourtant, les habitants de Gaza ont connu plus de morts, de destructions et d’anarchie que ceux du Kosovo ou du Timor-Leste.

Pour qu'un déploiement international soit efficace, plusieurs conditions doivent être remplies. Tout d'abord, Israël et le Hamas doivent accepter un cessez-le-feu. Le Hamas doit céder la place à une nouvelle administration de Gaza dirigée par l'AP, qui demanderait au Conseil de sécurité de déployer une mission. Parallèlement, en échange d'une mission de maintien de la paix, Israël devrait accepter de retirer ses forces de la zone d'opérations de la mission. Israël devrait également coopérer avec une Autorité palestinienne réformée et autoriser la circulation des biens et des personnes dans le territoire sous supervision internationale. Une mission de maintien de la paix ne peut être efficace si elle est considérée comme une extension du régime israélien.

Une mission de maintien de la paix ne peut être efficace si elle est considérée comme une extension du régime israélien.

Etant donné le niveau d’acrimonie entre Israël et l’ONU, il est peu probable que le gouvernement israélien accepte une mission entièrement dirigée par l’ONU. Les responsables israéliens n’ont jamais caché leur dédain pour l’organisation internationale, à laquelle ils imputent une partie de leurs inquiétudes en matière de sécurité. Israël, par exemple, a accusé certains membres du personnel de l’ONU d’avoir participé aux attentats du 7 octobre, a soutenu que le soutien de l’ONU à Gaza avait renforcé le pouvoir du Hamas et a critiqué la FINUL pour son incapacité à empêcher le réarmement du Hezbollah. Bien que ces critiques ne soient pas entièrement justifiées, de mauvaises relations entre Israël et l’ONU pourraient empoisonner une mission de maintien de la paix. Quelle que soit la personne qui assure exactement l’égide de la mission de maintien de la paix, les agences de l’ONU devraient toujours constituer l’épine dorsale de la réponse humanitaire et de développement sur le terrain. Il existe un précédent où l’ONU a joué un rôle de soutien : au Timor-Leste, par exemple, l’Australie a dirigé une force internationale de maintien de la paix qui a jeté les bases d’une mission ultérieure de l’ONU. La plupart des troupes qui participeront à une mission à Gaza devraient provenir des Émirats arabes unis et d’autres États arabes, les États-Unis orchestrant l’ensemble de l’effort. Cela signifie qu’ils devront concevoir le concept des opérations de la mission et en soutenir la logistique, sans toutefois aller jusqu’à déployer des troupes américaines sur le terrain.

Si une mission de maintien de la paix doit être acceptée par les pays arabes – ce qui la rendrait plus acceptable aux yeux des Palestiniens –, Israël et l’AP devront faire des concessions et des réformes difficiles. Les Émirats arabes unis ont déclaré qu’ils étaient prêts à contribuer à une force de maintien de la paix à condition, premièrement, que l’AP l’invite à se déployer, qu’elle se livre à des réformes importantes et qu’Israël lui donne les moyens de prendre en charge la reconstruction de Gaza et, deuxièmement, que les États-Unis renouvellent leur engagement en faveur d’une solution à deux États. D’autres pays arabes exigeraient probablement au moins autant en échange de leur participation à une mission.

Ni Israël ni l’AP ne semblent prêts à accepter les conditions posées par les Émirats arabes unis. Les deux camps souffrent de polarisation politique, du traumatisme d’une violence extrême et d’un mauvais leadership. L’AP est corrompue, répressive et profondément impopulaire. Israël est dirigé par le gouvernement le plus à droite de son histoire, un gouvernement profondément hostile à l’AP qui a présidé au pire désastre militaire de l’histoire du pays. L’opposition à un État palestinien au sein d’Israël a également grimpé en flèche depuis le 7 octobre. Les États-Unis et leurs partenaires devraient faire pression pour encourager les transformations nécessaires des deux côtés. Même si celles-ci ne se concrétiseront probablement pas de sitôt, l’impératif d’une intervention à Gaza ne fera que croître. Il est peu probable que toutes les conditions d’un maintien de la paix réussi soient remplies avant qu’une telle mission ne devienne essentielle.

MISSION: POSSIBLE

En attendant, les États-Unis peuvent prendre certaines mesures pour jeter les bases d’une mission internationale réussie, même si les circonstances sont loin d’être parfaites. La résolution 2735 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui définit les contours d’un cessez-le-feu, a été adoptée en juin et constitue la base de la médiation en cours entre Israël et le Hamas. Les États-Unis devraient s’appuyer sur ce succès en créant un groupe de contact pour soutenir la résolution et coordonner la réponse internationale à Gaza. Le groupe de contact pourrait également déployer une force maritime multinationale au large des côtes de Gaza pour faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et lutter contre la contrebande d’armes.

Les États-Unis devraient également rouvrir les canaux de communication entre Israël, l’Autorité palestinienne et les agences de l’ONU. Cela permettrait de faciliter le flux d’aide et de garantir que les types d’assistance appropriés parviennent aux bons endroits. Pour l’instant, la sécurité des travailleurs humanitaires reste une préoccupation majeure, et la distribution interne de l’aide est fréquemment bloquée par les combats en cours et par les procédures de sécurité israéliennes.

Aussi irréaliste que cela puisse paraître aujourd’hui, le déploiement éventuel d’une mission internationale de maintien de la paix pourrait être le meilleur espoir de consolider un cessez-le-feu et d’entamer le long chemin vers le rétablissement des Gazaouis. Les dirigeants israéliens, palestiniens et américains doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour préparer le terrain pour une telle mission. La population de Gaza ne peut pas attendre que les conditions idéales se réunissent.

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