Des fissures apparaissent dans la coalition pro-démocratie thaïlandaise
Le chef du parti Aller de l’avant, Pita Limjaroenrat (au centre) et Paetongtarn Shinawatra du parti Pheu Thai (deuxième à droite) participent au défilé annuel de la fierté de Bangkok le 4 juin 2023.
Crédit : Facebook/Ing Shinawatra
À première vue, le vainqueur des élections thaïlandaises, le Move Forward Party (MFP), et le deuxième, le Pheu Thai Party (PTP), semblent bien s’entendre. Les deux partenaires potentiels de la coalition se sont toujours présentés comme une force pour la démocratie, unis dans leur désir de renverser le bloc conservateur « dictatorial » dirigé par le général Prayut Chan-o-cha. Mais, sous l’attitude amicale, il y a des tensions et une méfiance profondes. Au cours des dernières semaines, la fracture MFP-PTP s’est de plus en plus manifestée sous la forme d’une prise de bec publique, les deux parties se disputant le poste le plus élevé du pouvoir législatif, celui de président de la Chambre.
Certes, les deux parties ont des raisons légitimes de vouloir occuper le poste. Le MFP victorieux, qui a remporté le plus de sièges aux élections du 14 mai – 151 sièges sur 500 à la Chambre des représentants – soutient que son candidat doit être le président de la chambre pour faciliter la mise en œuvre harmonieuse des nouvelles lois «progressistes». Le MFP a apparemment 45 projets de loi proposés – 11 projets de loi politiques, huit sur les droits et la liberté, huit sur la réforme agraire, six sur la réforme bureaucratique, quatre sur la fonction publique, quatre sur l’économie et deux sur les questions environnementales et du travail – prêts à être soumis dès la reprise du parlement début juillet.
Parmi eux figurent les projets de loi phares du MFP visant à modifier la loi de lèse-majesté, à supprimer la conscription obligatoire et à dissoudre le Commandement des opérations de sécurité intérieure, en charge de toutes les dimensions de la sécurité intérieure, à décentraliser la gouvernance et à taxer lourdement les riches. Ces changements auraient probablement de profondes répercussions sur la stabilité sociopolitique et économique de la Thaïlande et, dans le contexte des incertitudes mondiales croissantes, ils seraient presque certainement balayés par un orateur dont la loyauté envers la cause du MFP est discutable.
Le populiste PTP, qui a longtemps joué un rôle majeur dans la politique thaïlandaise, n’est pas d’accord avec la position du MFP. Voulant manifestement établir les règles du jeu et contrôler l’étoile montante du MFP, PTP soutient que le modèle du « gagnant remporte tout » est inapproprié car le MFP n’a pas remporté l’élection de manière décisive. En effet, le PTP n’a remporté que 10 sièges de moins que le MFP et est considéré comme un parti plus qualifié en raison de son expérience passée dans la gestion des réunions de la Chambre. Le PTP a déjà accepté, en principe, de soutenir le leader du MFP, Pita Limjaroenrat, en tant que nouveau Premier ministre thaïlandais et il n’est donc que juste que le PTP obtienne le poste de président de la Chambre.
La semaine dernière, alors qu’il devenait clair que le MFP ne plierait pas le genou, le chef adjoint du PTP, Phumtham Wechayachai, a commencé à parler de renoncer au poste de président de la Chambre et de prendre à la place les deux postes de vice-président de la Chambre. Le brusque changement de ton de PTP a immédiatement déclenché un tollé parmi ses membres. Un séminaire a eu lieu le 21 juin pour discuter de cette question et jusqu’à 90 % des députés du PTP participants auraient exprimé leur désapprobation de la position adoucie du parti. Le politicien vétéran du PTP, Adisorn Piangket, par exemple, a souligné que le PTP « n’est pas une branche du MFP ».
Le drame interne de PTP pourrait sans doute être interprété de deux manières. D’une part, les fortes réactions négatives des membres du PTP reflètent de sérieuses divisions et un manque de communication au sein du parti. D’autre part, le retrait apparent de PTP de la course aux haut-parleurs de la maison dans le but de sortir de l’impasse est une décision bien calculée pour dépeindre le MFP comme totalement égoïste et le PTP comme le véritable détenteur de la coalition. En outre, si la coalition dirigée par le MFP échoue, le blâme sera largement porté sur le MFP et non sur le PTP.
Au fond, les dirigeants du PTP prévoient probablement la disparition inévitable de la coalition dirigée par le MFP. Après tout, le MFP suit un chemin semé d’obstacles et a peu de chances d’obtenir suffisamment de soutien du Sénat non élu de 250 sièges pour former un gouvernement. Le PTP, en revanche, a la possibilité de s’associer aux partis conservateurs de l’administration Prayut, notamment Bhumjaithai (71 sièges) et le parti pro-militaire Palang Pracharath (40 sièges). Un tel scénario, comme l’a observé Punchada Sirivunnabood dans son article Diplomat récemment publié, signifie que le PTP pourrait perdre le soutien de ses électeurs pro-démocratie, qui pourraient alors voter massivement pour le MFP lors des prochaines élections en Thaïlande. Pourtant, en même temps, il est logique de penser que l’incapacité du MFP à diriger un gouvernement qui fonctionne et à produire des résultats tangibles pourrait entraîner sa chute.
Les développements entourant le nouveau haut-parleur thaïlandais valent la peine d’être observés, étant donné qu’ils ont de grandes implications pour l’avenir de l’alliance MFP-PTP et de la politique thaïlandaise en général. La première session parlementaire étant prévue pour le 3 juillet et la sélection du président de la Chambre devant avoir lieu dans les 10 premiers jours de la session parlementaire, le temps presse pour que le PTP rende son dernier appel. Même si une décision finale du parti est prise, les députés du PTP ne peuvent pas voter selon les lignes du parti. Contrairement au processus de sélection du Premier ministre, où les noms de tous les députés et de leurs candidats au poste de Premier ministre sont divulgués, le vote pour le président de la Chambre a lieu au scrutin secret, ce qui indique un degré élevé d’imprévisibilité.