L'espace extra-atmosphérique dans le manifeste électoral du BJP : promesses et perspectives
Les élections générales indiennes de 2024 sont en cours et le parti Bharatiya Janata (BJP) a inscrit les ambitions spatiales de l'Inde dans son programme. Le Premier ministre Narendra Modi et son gouvernement ont tiré un capital politique des missions de l'Organisation indienne de recherche spatiale d'une manière jamais vue auparavant. Il n’est donc pas surprenant que l’exploration spatiale figure en bonne place dans leur programme électoral de 2024.
Dans la section de son manifeste intitulée « Garantie Modi ki pour la technologie et l'innovation », le BJP a exposé son plan visant à faire de l'Inde une « puissance spatiale de premier plan », une position que le pays occupe déjà. En outre, le document réitère l'engagement du BJP envers le projet Gaganyaan en cours, le premier vol habité de l'Inde dans l'espace. Il est allé plus loin en promettant d'envoyer le premier astronaute indien – ou vyomanaute – vers la Lune. Le manifeste proposait également des extensions significatives des infrastructures spatiales. Il s'agit notamment de la création de la station Bharatiya Antariksha, similaire à la Station spatiale internationale (ISS), et d'un deuxième complexe de lancement pour doubler la capacité du pays pour les missions spatiales.
Le programme spatial du BJP a également souligné l'importance de la collaboration internationale, en particulier avec les pays du Sud. Il mentionne le projet de créer une Académie spatiale mondiale, fonctionnant sous les auspices de l'ISRO et de l'Institut indien des sciences et technologies spatiales (IIST). De même, la création proposée d'un nouveau forum spatial vise à affirmer la position de l'Inde en tant que puissance spatiale de premier plan et à aider les pays du Sud à tirer parti des services spatiaux et technologiques. Il convient de noter que ces mesures sont présentées non seulement comme des progrès technologiques, mais également comme des mesures stratégiques visant à renforcer l'influence géopolitique et le soft power de l'Inde.
L'affirmation du manifeste : « Nous lancerons Gaganyaan, la première mission de vol spatial habité de Bharat », mérite un examen minutieux compte tenu de la longue histoire du projet. Initié sous le premier gouvernement de l’Alliance progressiste unie (UPA) en 2007, Gaganyaan n’est pas un projet nouveau. Il a été méticuleusement planifié, correctement budgétisé et son exécution est activement en cours. Des étapes importantes ont déjà été franchies, notamment la récente sélection des astronautes et les vols d'essai. La formulation du manifeste visait donc moins à discuter de nouvelles initiatives qu’à marquer des points sur l’achèvement imminent d’un projet déjà avancé.
Les aspirations visant à faire atterrir un astronaute indien sur la Lune et à établir une station spatiale sont indéniablement ambitieuses. Celles-ci positionnent l’Inde sur une trajectoire parallèle aux vastes missions spatiales de la Chine. Même si l’Inde est connue pour son approche rentable de l’exploration spatiale, la réalisation de projets aussi révolutionnaires nécessitera un changement de paradigme important en termes d’investissement financier. Pour que ces initiatives se concrétisent dans un délai déterminé, une augmentation substantielle des allocations budgétaires à l’ISRO est impérative – bien au-delà de ce qui a été historiquement prévu.
L'engagement du manifeste de rendre opérationnel un deuxième complexe de lancement (à Kulasekarapattinam, Tamil Nadu) répond à un besoin critique d'infrastructures améliorées pour soutenir les ambitions spatiales croissantes de l'Inde. Situé près de l'équateur, cet emplacement offre des conditions de lancement optimales, notamment pour les trajectoires vers le sud, plus économes en carburant et évitant les obstacles géographiques rencontrés à Sriharikota. Cette nouvelle installation servira principalement aux lancements de petits satellites, essentiels aux lancements spatiaux privés. Son positionnement stratégique, parallèlement aux réformes récemment introduites dans le secteur spatial, renforcera considérablement les capacités et la compétitivité mondiale de l'Inde.
La proposition de créer une Académie spatiale mondiale constitue une étape définitive vers l'élargissement du paysage éducatif spatial en Inde. Bien que l’IIST ait excellé dans l’enseignement technologique ciblé en ingénierie spatiale, la nouvelle académie pourrait élargir ce champ d’action pour inclure un enseignement spatial avancé dans des domaines tels que les affaires, le droit, la diplomatie et les impacts sociétaux – domaines cruciaux pour le développement global du secteur spatial. Imiter le modèle de l’Université spatiale internationale basée en France pourrait fournir des informations précieuses sur l’intégration de ces diverses filières éducatives.
Même si son format et sa nature spécifiques restent indéfinis, l'engagement de créer un forum spatial pourrait renforcer considérablement le rôle de l'Inde dans la diplomatie spatiale. Cette décision est particulièrement tactique étant donné que les efforts régionaux, tels que ceux de l’Association sud-asiatique de coopération régionale (SAARC), ont donné des résultats mitigés en matière de collaboration spatiale. L'Inde pourrait renforcer sa position géopolitique et aider efficacement ses alliés régionaux à exploiter les services spatiaux et technologiques en menant une initiative intergouvernementale axée sur l'espace, similaire au rôle de la Chine au sein de l'Organisation de coopération spatiale Asie-Pacifique (APSCO). Cela pourrait non seulement renforcer les intérêts de l'Inde, mais également faciliter une coopération régionale plus large en matière de technologie et de services spatiaux.
Dans son manifeste de 2024, le BJP a esquissé quelques mesures audacieuses pour les ambitions spatiales de l'Inde, sans pour autant articuler une vision globale à long terme pour les activités spatiales de l'Inde. Cependant, cette insistance contraste fortement avec celle du Congrès national indien (INC), dont le manifeste a entièrement omis les initiatives spatiales, reflétant une nette divergence de priorités.
Si le BJP conserve le pouvoir, ses antécédents suggèrent que même si l’espace est une fierté nationale déclarée et un outil de projection de puissance, toutes les promesses ne se concrétiseront pas pleinement. À l'inverse, si l'alliance INDIA dirigée par l'INC arrive au pouvoir, elle aura une opportunité cruciale de définir clairement et de soutenir sa propre vision du secteur spatial indien, une démarche qui pourrait être vitale non seulement pour l'Inde dans la course spatiale mondiale, mais aussi pour pour l’édification de la nation et la croissance économique.