Un expert en démographie décrypte la chute du taux de natalité en Corée du Sud
La Corée du Sud est aux prises avec un taux de natalité en chute libre. Selon les derniers chiffres, le nombre de naissances par femme est tombé à 0,72, soit le niveau le plus bas depuis que le pays a franchi le seuil critique de fécondité de 2,1 en 1984. Le chiffre actuel est nettement inférieur au taux de fécondité de remplacement et représente le taux le plus bas de tous les pays de l'OCDE. Il devrait encore baisser pour atteindre 0,68 en 2024.
Quelle est la gravité de cette situation ? Imaginez une population de 200 personnes, composée à moitié d’hommes et à moitié de femmes. En supposant que 70 % des femmes donnent naissance à un enfant au cours de leur vie, la population augmenterait de 70 enfants. Si la moitié d’entre elles (35) sont des femmes et que 70 % d’entre elles ont un enfant, le nombre de nouvelles naissances diminuerait à environ 25 au cours de la génération suivante. Cela représente une diminution énorme de 88 % (de 200 à 25) en seulement deux générations.
Dr. Lee Sang-limLee, spécialiste des études démographiques, prévient que la Corée du Sud est confrontée à une crise existentielle en raison de ces tendances démographiques alarmantes. En tant que chercheur principal au Centre de recherche sur les politiques démographiques de l'Université nationale de Séoul et conseiller civil du Groupe de travail parlementaire sur la crise démographique, Lee apporte une vaste expertise sur la question.
Le Diplomate a récemment interviewé Lee pour obtenir des informations plus approfondies.
Quelle est la gravité du problème du taux de natalité en Corée du Sud ?
La baisse du taux de natalité en Corée du Sud s'est déroulée en trois étapes. La première étape a commencé vers 2002, lorsque le nombre annuel de naissances est tombé sous la barre des 500 000. Ce déclin est dû aux difficultés économiques et à la restructuration qui ont suivi la crise financière asiatique de 1997.
La deuxième phase, de 2005 à 2015, a été marquée par des fluctuations du taux de fécondité, mais la tendance a pris un tournant plus marqué à la baisse à partir de 2015. Au cours de cette troisième phase, qui a débuté en 2015, le nombre de couples mariés avec enfants a diminué, tout comme le taux de fécondité des jeunes mariés. Dans le même temps, la migration des jeunes des zones métropolitaines hors de Séoul vers les villes urbaines a également augmenté de manière notable.
Un taux de fécondité de 0,72 est sans précédent dans l'histoire. Des cas similaires se sont produits lors de la réunification de l'Allemagne en 1990 (le taux de fécondité de l'Allemagne de l'Est est tombé à 0,77 en 1994) et pendant la Grande Dépression, lorsque le taux de fécondité dans les grandes villes européennes comme Vienne est tombé sous 1,00. Mais ces baisses n'ont été que temporaires. Ce qui rend la situation actuelle de la Corée du Sud unique, c'est que cette chute spectaculaire se produit en l'absence de crise économique ou sécuritaire spécifique.
Quels sont les principaux facteurs contribuant à la baisse du taux de natalité depuis 2015 ?
En 2015, les taux de fécondité ont chuté dans toutes les tranches d’âge, un phénomène connu sous le nom d’effet de période. Plusieurs facteurs ont contribué à cette baisse. L’un d’eux était la forte augmentation des prix des loyers, les jeunes ayant de plus en plus de mal à s’offrir un logement avec leurs revenus. Ce défi s’est aggravé en 2019 lorsque les prix de l’immobilier ont commencé à monter en flèche.
Les erreurs politiques ont joué un rôle important dans ces évolutions. À partir de 2010, le gouvernement a augmenté le montant maximum des prêts et étendu l’accès aux prêts locatifs pour stimuler le marché immobilier, ce qui a entraîné une hausse involontaire des coûts de logement et de location.
Outre les facteurs tangibles, un changement de perception important a été observé chez les jeunes générations vers 2010. Cette période coïncide avec l’adoption généralisée des smartphones et l’essor des réseaux sociaux. Alors que les jeunes ont commencé à comparer leurs modes de vie et leurs habitudes de consommation avec ceux des autres en ligne, une nouvelle forme de concurrence est apparue : celle entre la consommation et la procréation. Nombre d’entre eux sont devenus de plus en plus matérialistes, privilégiant l’affichage de leur mode de vie sur les réseaux sociaux au détriment du chemin traditionnel du mariage et de la vie de famille, cette dernière étant souvent plus lourde financièrement et moins glamour.
Quelles conséquences peut-on attendre d’un faible taux de natalité ?
Premièrement, l’éducation et la garde des enfants vont devenir de plus en plus problématiques. De nombreuses écoles maternelles et maternelles des zones rurales ferment déjà leurs portes et cette tendance devrait s’intensifier au cours de la prochaine décennie. Les universités de tout le pays ressentent également les effets de la baisse des inscriptions.
Les secteurs industriels locaux seront également confrontés à une grave crise. Les secteurs nationaux tels que la construction, les transports, l’alimentation et les boissons, et l’hébergement connaîtront une baisse de production et un marché en contraction. D’ici la fin de la décennie, la population âgée augmentera, ce qui aggravera les problèmes liés à la protection sociale. Il convient de noter que le vieillissement de la population s’accélérera parallèlement à la baisse du taux de natalité, ce qui aggravera les défis à venir.
Certains experts estiment que l’immigration pourrait contribuer à combler ces lacunes. Mais elle ne suffira probablement pas à atténuer la crise démographique. La politique d’immigration de la Corée du Sud vise à remédier aux pénuries de main-d’œuvre plutôt qu’à s’attaquer aux problèmes démographiques plus vastes. Si cette approche peut atténuer les besoins immédiats en main-d’œuvre, elle a ses limites.
La société sud-coréenne en déclin accorde la priorité à la productivité et à l'efficacité, mais la plupart des immigrants qui arrivent en Corée du Sud sont des travailleurs manuels qui ne contribuent pas à l'innovation ou aux gains de productivité. Par conséquent, l'expansion de l'immigration dans le cadre actuel pourrait en réalité exacerber les conflits sociaux existants.
Pourriez-vous nous en dire plus sur les implications sécuritaires qui découlent d’un faible taux de natalité ?
Le déclin rapide des effectifs militaires constitue un défi de taille pour la Corée du Sud, en particulier en raison de la nature très structurée de ses forces armées. Chaque soldat a une mission spécifique et rigoureusement organisée, qui devient de plus en plus difficile à remplir à mesure que les effectifs diminuent.
Une telle situation nécessite une réorganisation du système militaire, impliquant l’intégration d’équipements plus avancés et plus scientifiques pour maintenir l’efficacité opérationnelle. Cependant, cette transition intervient à un moment difficile. À mesure que la population vieillit, une part plus importante du budget national devra être allouée aux services sociaux, ce qui ne laissera pas suffisamment de fonds pour l’achat d’armes de pointe coûteuses. C’est ce que j’appelle un conflit entre la sécurité nationale et la sécurité sociale.
Si l’on considère l’Asie du Nord-Est, le taux de natalité en Chine, au Japon, en Corée du Nord et même en Russie a atteint ou est en train d’atteindre un niveau critique. Dans les 10 à 20 prochaines années, l’équilibre des forces militaires et de sécurité dans la région devra être reconfiguré pour faire face à ces réalités démographiques. Si certains estiment qu’une diminution de la population pourrait réduire la probabilité de conflit et contribuer à la stabilité régionale, l’absence d’un rééquilibrage des pouvoirs pourrait avoir de graves conséquences sur la sécurité.
Comment évaluez-vous les politiques du gouvernement Yoon Suk-yeol ?
L’administration Yoon met l’accent sur l’augmentation du financement du logement et de la garde d’enfants. Cependant, ces mesures visent principalement les couples mariés disposant de quelques actifs et d’un emploi stable, négligeant ainsi l’ensemble de la population. Pour favoriser un changement à long terme, il faut s’attaquer à des problèmes structurels plus profonds comme l’instabilité du marché du travail, la réforme de l’éducation, la baisse des prix de l’immobilier et la lutte contre les disparités régionales. Mais surtout, un changement de mentalité de la jeune génération est essentiel pour inverser les tendances démographiques actuelles.
Le Japon peut-il servir de modèle à la Corée du Sud ?
Beaucoup de gens se tournent vers le Japon, qui a connu un déclin de la natalité et un vieillissement de la population avant la Corée. Certes, le Japon a connu un vieillissement de la population plus tôt que la Corée du Sud, mais le rythme et les problèmes sous-jacents ne sont pas les mêmes.
Par exemple, si l’on examine les enquêtes sociales, on constate des différences notables dans la manière dont les valeurs sociales évoluent dans les deux pays en ce qui concerne la dynamique familiale et les rôles des sexes. En Corée du Sud, les valeurs et les perceptions sociétales évoluent rapidement, créant un écart prononcé entre les générations plus âgées et plus jeunes. Il n’est pas exagéré de dire que les populations jeunes et d’âge moyen vivent dans des mondes presque totalement différents. En revanche, les valeurs sociales du Japon évoluent plus progressivement, ce qui se traduit par un écart générationnel moins évident. Ce rythme plus lent du changement peut expliquer pourquoi le taux de natalité du Japon, bien qu’encore faible, reste plus stable que celui de la Corée du Sud.
Cela ne signifie pas pour autant que les jeunes Japonais sont mieux lotis que ceux de Corée du Sud. Même si les jeunes Japonais ont une meilleure perspective économique, il est difficile de prétendre qu'ils sont mieux placés en matière d'égalité des sexes ou d'influence de la politique générationnelle, où les décisions politiques sont souvent dictées par la génération plus âgée.
Quel État pourrait alors servir de modèle à la Corée du Sud ?
Il est difficile de trouver un cas similaire à celui de la Corée du Sud, mais l’Allemagne se distingue comme un modèle potentiel. Sous l’ancienne chancelière Angela Merkel (2005-2021), l’Allemagne a mis en œuvre une série de politiques pour faire face à son taux de natalité en baisse, ce qui a conduit à une amélioration progressive de la situation. Les Allemands ont abordé la question du taux de natalité à travers une « stratégie démographique », qui reconnaît l’interaction complexe entre la dynamique de la population et la société. Ces efforts comprenaient des réformes du marché du travail, le renforcement des petites et moyennes entreprises et l’introduction de diverses politiques familiales.
En revanche, la Corée du Sud se concentre essentiellement sur le contrôle et la gestion de sa population, une stratégie à la fois risquée et inefficace. La lutte contre la baisse du taux de fécondité est un défi qui exige la conciliation d'intérêts divers, ce qui rend le rôle de la politique de plus en plus crucial.