Qu'est-ce que la loi Tatak Pinoy ?
En février, le président des Philippines, Ferdinand Marcos Jr., a promulgué la loi Tatak Pinoy (Fierté philippine), une politique officielle qui ordonne au gouvernement de soutenir le développement de l’industrie nationale. Pour y parvenir, la loi crée un Conseil présidé par le secrétaire au Commerce et à l’Industrie pour planifier, mettre en œuvre et suivre une stratégie nationale d’industrialisation. Elle oblige le gouvernement, pendant une période de 10 ans, à acheter des produits fabriqués localement et crée des « voies vertes » spéciales pour accélérer l’obtention des permis, licences et certifications pour les projets prioritaires.
À ce stade, de nombreux détails clés restent un peu flous. La loi appelle à donner la priorité aux ressources humaines, aux infrastructures, à la technologie, à l’innovation et à l’investissement et parle de forger des liens solides entre le monde universitaire, le gouvernement et l’industrie. Mais elle n’est pas trop précise sur la manière dont tout cela fonctionnera dans la pratique. Pour l’instant, la loi Tatak Pinoy est probablement mieux considérée comme un cadre d’organisation destiné à donner le ton, à mettre les acteurs clés sur la même longueur d’onde et à les orienter vers une vision commune.
Quelle est cette vision ? Les Philippines, comme de nombreux marchés émergents, souhaitent progresser dans les chaînes de valeur mondiales et accroître le rôle de la production nationale dans cet effort. Elles souhaitent fabriquer des produits de plus en plus sophistiqués et de plus en plus précieux, puis les vendre, soit sur le marché intérieur, soit à l'exportation. À cette fin, la loi Tatak Pinoy témoigne de la volonté et de l'intention des Philippines de se lancer dans des activités de production à plus forte valeur ajoutée qui occupent des positions plus élevées dans les réseaux de production nationaux et internationaux.
Les Philippines ont adopté plusieurs projets de loi destinés à soutenir cette vision, comme la loi CREATE de 2021 (amendée par la suite en 2024) qui modifie le système fiscal pour le rendre plus favorable aux entreprises. Ces dernières années, elles ont également ouvert plusieurs secteurs stratégiques avec jusqu’à 100 % de participation étrangère. Ces efforts, complétés par le cadre stratégique articulé dans la loi Tatak Pinoy, doivent jeter les bases d’un plus grand nombre d’investissements, d’exportations et d’une croissance davantage tirée par l’industrie.
Le chemin à parcourir est toutefois long. Les Philippines importent généralement beaucoup plus de biens qu’elles n’en exportent et le déficit s’est creusé ces dernières années. Selon les données de la balance des paiements de Bangko Sentral ng Pilipinas, en 2023, les Philippines ont importé près de 66 milliards de dollars de biens de plus qu’elles n’en ont exporté. Les biens qu’elles exportent sont fortement concentrés dans les produits électroniques.
L'objectif de la loi Tatak Pinoy est de diversifier la base industrielle et de fabriquer une gamme plus large de biens à valeur ajoutée, tant pour la consommation intérieure que pour les marchés mondiaux. Si elle est mise en œuvre avec succès, cette mesure réduira le déficit de la balance des paiements et nous verrons les Philippines commencer à produire et à exporter une plus grande variété de produits en plus des produits électroniques.
Il convient de noter que l'état actuel de l'économie mondiale rend une telle stratégie particulièrement difficile à mettre en œuvre, car de nombreux pays à travers le monde se replient de plus en plus sur eux-mêmes, érigent des barrières commerciales et se concentrent sur la protection et la croissance des industries locales, à l'instar des Philippines. En conséquence, la demande mondiale de biens d'exportation a considérablement diminué, ce qui nuit aux économies tournées vers l'exportation comme la Thaïlande.
Un autre défi est que de nombreux pays de la région qui poursuivent des stratégies d’industrialisation le font avec un soutien public bien plus important. L’Indonésie cherche également à développer son industrie nationale et a pour objectif de s’implanter dans les chaînes d’approvisionnement en énergie propre. Cette stratégie est explicitement défendue par l’État, par exemple en interdisant les exportations de nickel. Les Philippines, qui ont l’une des économies les plus orientées vers le marché de la région, ne bénéficieront probablement pas du même niveau de soutien public direct pour poursuivre leurs ambitions industrielles.
La loi Tatak Pinoy stipule que la politique de l’État consiste à « encourager, soutenir et promouvoir la production et l’offre de produits et services philippins », tout en soulignant que cela doit se faire en « collaboration avec le secteur privé » et être « axé sur le marché ». En d’autres termes, elle crée un mandat stratégique pour stimuler la production nationale, mais ne constitue pas un appel à plein régime aux mêmes types de politiques industrielles dirigées par l’État que celles que l’on voit dans d’autres pays.
Cela suffira-t-il aux Philippines pour s'imposer dans les maillons à plus forte valeur ajoutée des chaînes d'approvisionnement nationales et internationales ? L'avenir nous le dira, mais compte tenu du degré de soutien public dont bénéficient les pays concurrents, ainsi que des tendances protectionnistes croissantes dans l'économie mondiale, il est difficile pour les Philippines de se lancer dans l'industrialisation et la croissance tirée par les exportations en ce moment.