Changement de position de la Corée du Sud sur la fille de Kim Jong-un
Pour ceux qui s’intéressent à ce qui se passe en Corée du Nord, il est facile de se laisser influencer par les « informations » communiquées par les agences gouvernementales et les médias sud-coréens. Par exemple, après que la fille du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un soit entrée sur le devant de la scène en novembre 2022, de nombreuses rumeurs non confirmées ont circulé selon lesquelles elle serait son deuxième enfant, Kim Ju Ae.
Si c'est vrai, et que l'aîné de Kim est un garçon et le favori pour succéder à son père, alors pourquoi le nom de cet enfant ne circule-t-il pas, même sous forme de rumeur ? Dès le début, de nombreuses questions se sont posées, comme celle de savoir pourquoi le troisième enfant supposé de Kim n'a pas été rendu public en même temps, si le deuxième enfant et la fille ont été annoncés dans le but de garder secret son aîné. Bien que cela n'ait jamais été vérifié, l'affirmation selon laquelle Kim Jong-un a trois enfants est largement acceptée comme un fait établi. Pourtant, même le nom « Ju Ae » manque de preuves.
Bien que le père et la fille se soient tenus côte à côte lors d'un défilé militaire en février 2023 et que le titre de « fille respectée » ait été utilisé, le scepticisme quant à sa capacité à succéder à Kim est resté fort en Corée du Sud. Le Service national de renseignement sud-coréen a fourni son analyse à la Commission du renseignement de l'Assemblée nationale sud-coréenne, dans laquelle il a conclu que Kim faisait souvent accompagner sa fille à des événements officiels « très probablement pour créer l'impression d'une succession héréditaire de quatrième génération », rejetant l'idée qu'elle soit son successeur.
Ce n’est toutefois que vers la fin de l’année 2023 que le gouvernement sud-coréen a commencé à communiquer ses vues approfondies. Un exemple typique est celui de la déclaration du directeur du Service national de renseignement : « Nous cherchons actuellement à déterminer si elle est vraiment la successeure. »
Le ministre de l'Unification a également déclaré qu'elle était « une candidate sérieuse pour la succession héréditaire de la quatrième génération à la tête du système ». Néanmoins, il a également suggéré que « le système (de Kim) est devenu moins stable, donc la faire apparaître plus tôt et indiquer une intention de lui succéder avait pour but de renforcer l'unité interne ». C'est une déclaration qui doit être lue dans le contexte de la politique sud-coréenne, étant donné que c'est une politique de longue date des gouvernements conservateurs de Séoul de prétendre que la Corée du Nord est faible et devrait être absorbée pour parvenir à l'unification de la péninsule coréenne.
Tant que la Corée du Nord demeurera une dictature personnelle, il y aura toujours un risque de changement radical de politique à chaque changement de mentalité de ses dirigeants. De plus, en l’absence de preuves concluantes sur la famille Kim, les observateurs extérieurs doivent reconnaître qu’il est possible que celle-ci ait négligé des informations cruciales. Par conséquent, nous devons être circonspects dans nos affirmations.
Il existe néanmoins des éléments de preuve permettant d’identifier la fille de Kim comme son successeur. Selon les mémoires de l’ancien président sud-coréen Moon Jae-in, publiées en mai, Kim aurait déclaré en 2018 : « J’ai une fille et je ne veux pas que la génération de ma fille vive avec le fardeau de l’arme nucléaire », pour expliquer son intention de dénucléariser. Le fait que Kim ait uniquement fait référence à sa « fille », plutôt qu’à son « enfant » ou à son « fils », suggère qu’il n’a pas d’enfant mâle, ou que s’il en a un, il ne veut pas le présenter comme son successeur.
Début août dernier, Kim Jong Un a prononcé un discours dans lequel il a affirmé : « Les États-Unis auxquels nous sommes confrontés ne sont pas seulement une administration qui vient et qui part après quelques années, mais une nation hostile à laquelle nos enfants et petits-enfants devront faire face pendant des générations. » Cette déclaration repose sur l’hypothèse selon laquelle le système nord-coréen perdurera indéfiniment.
La fille de Kim est également apparue à cet événement, sa première apparition depuis 80 jours. Il est intéressant de noter que la sœur de Kim, Kim Yo Jong, aurait accompagné sa nièce, en signe de déférence. Il fut un temps où la Corée du Sud présentait Kim Yo Jong elle-même comme successeur, mais cette possibilité a désormais pratiquement disparu.
Les médias nord-coréens ont mentionné la fille de Kim plus de 20 fois, mais n'ont pas encore expliqué les circonstances de son apparition. De plus, la manière dont elle est présentée est incohérente, ce qui suggère que les autorités sont encore en train de tester la meilleure façon de la promouvoir.
En janvier, lorsque le Rodong Sinmun a rendu compte des activités de Kim père, il a souvent inséré la phrase « accompagné de sa fille respectée ». Cette façon de présenter la fille seule semblait apporter un certain degré de clarté à la question de la succession, mais le journal est vite revenu à son approche précédente, l’expression « fille respectée » ayant disparu après quelques mois.
Cependant, lorsque Kim a assisté à un événement en mars, les reportages ont fait état de plusieurs photos du père et de la fille, et les mots « les grands dirigeants » ont été utilisés. C’était la première fois que cette appellation plurielle apparaissait, et elle implique fortement que la fille est au même niveau que Kim Jong-un, suggérant qu’elle est bel et bien son successeur.
Pourtant, si vous posez la question à des personnes proches de Pyongyang, non seulement elles ne disposent d’aucune information fiable sur la famille Kim, mais il leur paraîtra tabou d’en parler. Des spéculations se faisant passer pour des informations continueront probablement d’émerger de Corée du Sud, mais ceux qui cherchent à en savoir plus devront continuer à prêter une attention particulière au ton adopté par les médias nord-coréens.