Le Pakistan débat du recul de la réforme de Madrassa
Le parlement pakistanais a récemment adopté la loi de 2024 sur l'enregistrement des sociétés (amendement), qui introduit de nouvelles réglementations pour l'enregistrement des madrassas (séminaires religieux).
Cependant, le président Asif Zardari a refusé d'accorder son approbation au projet de loi, condition constitutionnelle pour qu'il devienne loi. Selon l'article 75 de la Constitution pakistanaise, un projet de loi ne peut devenir loi que s'il est adopté par les deux chambres du Parlement et s'il reçoit l'approbation du président.
Au cœur de la controverse autour du projet de loi se trouve une proposition visant à revenir sur des réformes clés introduites en 2019. Ces réformes ont placé les séminaires sous la juridiction du ministère de l'Éducation, ont reconnu le ministère comme la seule autorité à collecter des données sur les madrassas, ont standardisé leurs programmes, a rendu obligatoire la soumission de rapports annuels détaillant les activités éducatives et les finances, et a interdit l'enseignement ou la promotion du militantisme, du sectarisme ou de la haine religieuse. De plus, chaque campus de madrassa devait s'enregistrer en tant qu'entité distincte.
L’amendement proposé vise toutefois à renverser toutes ces réformes. L’aspect le plus controversé est le transfert des pouvoirs de surveillance et d’enregistrement aux commissaires de district. Ce renversement traiterait également les madrassas multi-campus comme des entités uniques. Ainsi, le nouvel amendement proposé vise à limiter l'influence du gouvernement central en réduisant le rôle du ministère de l'Éducation dans l'élaboration des programmes d'études des madrassa et en assouplissant les exigences en matière de reporting financier.
Historiquement, les madrassas étaient enregistrées en vertu de la loi sur l'enregistrement des sociétés de l'époque coloniale de 1860 au niveau du district, un système décentralisé qui donnait au gouvernement un contrôle limité sur les programmes, les activités ou le financement des madrassas.
Les partisans du projet de loi, en particulier les partis religieux comme le Jamiat Ulema-e-Islam (JUI), soutiennent qu'en décentralisant le contrôle sur les madrassas, les institutions religieuses gagneraient en autonomie. Pour ces groupes, la centralisation des madrassas sous la tutelle du ministère de l’Éducation en 2019 représentait une atteinte indue aux libertés religieuses.
Cependant, les opposants, dont Zardari, ont exprimé leurs inquiétudes quant aux conséquences négatives potentielles d'un renversement des réformes, arguant que cela pourrait faire reculer des années de progrès, quoique limités, dans l'établissement d'un cadre réglementaire unifié pour les madrassas. Le président a averti que l'amendement pourrait miner la crédibilité internationale du Pakistan à un moment où le pays s'efforce de s'aligner sur les normes mondiales en matière de lutte contre l'extrémisme et de responsabilité financière.
Les réformes introduites en 2019 ont en fait été motivées par des pressions internationales, notamment de la part d’organisations comme le Groupe d’action financière (GAFI), l’organisme mondial de surveillance du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme.
Le Pakistan est resté sur la « liste grise » du GAFI entre 2008-2010, 2012-2015 et 2018-2022, une désignation réservée aux pays qui ne respectent pas les normes internationales en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Ce statut posait des risques importants pour l'économie du Pakistan, notamment la perte potentielle d'une aide étrangère essentielle, d'investissements ainsi que de l'accès du pays aux emprunts internationaux.
Une condition essentielle pour que le Pakistan soit retiré de la liste grise était d'établir une surveillance des séminaires religieux afin de garantir la transparence de leurs activités et de leurs opérations financières. En réponse, des réformes ont été promulguées en 2019, classant les madrassas comme établissements d'enseignement, les plaçant sous la juridiction du ministère de l'Éducation et renforçant le contrôle sur leurs activités. Ces mesures ont ensuite été largement saluées comme un pas en avant dans l’alignement de l’éducation religieuse sur des objectifs nationaux plus larges.
Mais même après les réformes de 2019, le gouvernement ne dispose pas d’un décompte exact des madrassas du pays ni de données complètes sur leurs activités. Cependant, les réformes ont ensuite permis au gouvernement et aux ministères provinciaux de l'Éducation d'intervenir lorsque cela était nécessaire.
Au milieu du débat en cours sur le recul des réformes, en particulier sur le refus du président de donner l'assentiment final, le chef du JUI, Maulana Fazlur Rehman, a mis en garde contre des manifestations à l'échelle nationale si le projet de loi n'était pas adopté.
La croissance rapide des madrassas au Pakistan au cours des 40 dernières années suggère qu'elles ont attiré des ressources substantielles grâce à des dons, des œuvres caritatives et d'autres formes de financement. Cependant, le manque de données fiables ou de transparence concernant ces flux financiers soulève des inquiétudes quant à leur responsabilité et renforce encore l'influence des partis religieux pakistanais.
Dans les années 1980, sous le régime militaire de Zia, le système des madrassas du Pakistan a connu une transformation. Dans le cadre du projet d'islamisation, non seulement le système juridique du Pakistan a subi des changements majeurs, mais aussi, pour renforcer les alliances avec les groupes religieux, le gouvernement Zia a mis en place un système formel zakat (don islamique), qui déduisait automatiquement les fonds des comptes bancaires et les dirigeait vers des institutions approuvées par les chefs religieux.
Ces changements, ainsi que le financement international reçu par le Pakistan pour soutenir les moudjahidines combattant les Soviétiques en Afghanistan, ont stimulé la création rapide de nouvelles écoles religieuses à travers le pays. Pendant ce temps, à la fin des années 1970, la guerre en Afghanistan a amené des millions de réfugiés au Pakistan, dont des milliers étaient des orphelins. Beaucoup de ces madrassas servaient d'orphelinats.
Mais ce qui semblait initialement être une initiative internationale et soutenue par le gouvernement s’est progressivement transformé en un défi. Sans grande surveillance de l'État, chaque madrassa a acquis l'autonomie nécessaire pour façonner son programme. Beaucoup se concentraient exclusivement sur les enseignements religieux et la mémorisation par cœur, tout en négligeant les matières essentielles comme les sciences et les mathématiques. En conséquence, les étudiants obtiennent souvent leur diplôme avec peu ou pas de compétences pratiques, de pensée critique ou de capacité à s'intégrer dans la société au sens large.
Beaucoup de ces madrassas ont ensuite été critiquées pour être devenues des terrains fertiles pour un extrémisme à motivation religieuse.
En janvier 2002, lorsque Pervez Musharraf s’est allié aux États-Unis dans leur « guerre contre le terrorisme », il s’est engagé à prendre des mesures contre les groupes religieux radicaux et à réformer le système des madrassas, devenu mondialement célèbre pour son rôle dans l’incubation de l’extrémisme. Mais malgré ces promesses, les efforts de Musharraf ont été remis en question.
Le Pakistan reste soumis à d’intenses pressions internationales, notamment de la part du GAFI, concernant la montée du radicalisme. Les réformes de 2019 constituaient donc un effort pour répondre à ces préoccupations.
Le retour en arrière proposé des réformes de 2019 risque d’anéantir le peu de progrès réalisés jusqu’à présent.
Le débat en cours sur la loi sur l'enregistrement des sociétés (amendement) reflète les tensions plus larges dans les efforts du Pakistan pour équilibrer l'autonomie religieuse avec la responsabilité nationale et internationale. Alors que le Pakistan est aux prises avec les défis liés à la réforme de son système de madrassa, le résultat de ce débat aura des implications durables sur les efforts du pays pour lutter contre l'extrémisme et mettre en œuvre les réformes entreprises précédemment.