Est-ce le début de la fin du règne de Sheikh Hasina ?
Les manifestations étudiantes qui ont débuté en faveur d'une réforme des quotas dans les emplois publics ont rapidement dégénéré en un soulèvement national au Bangladesh, avec un appel généralisé à la démission de la Première ministre Sheikh Hasina. Ces troubles, déclenchés par les remarques désinvoltes de la Première ministre selon lesquelles les manifestants étaient « les familles de collaborateurs (razakars) pendant la guerre de libération », ont plongé le Bangladesh dans sa crise politique la plus grave depuis des années.
Malgré une décision de la Cour suprême du 21 juillet qui a largement répondu aux demandes des manifestants en ordonnant une réduction des quotas, les dirigeants étudiants se sont engagés à poursuivre leurs manifestations jusqu'à ce que leurs neuf revendications, y compris l'interdiction de la Bangladesh Chatra League (BCL), la branche étudiante de la Ligue Awami au pouvoir, de tous les campus, soient satisfaites.
Les rapports sur le terrain, difficiles à vérifier en raison d'une coupure des communications, font état de pertes importantes entre le 18 et le 21 juillet. Des sources médicales font état d'un usage de balles réelles contre les manifestants, plutôt que de balles en caoutchouc, ce qui souligne la détermination du gouvernement à écraser les manifestations par la violence. Le nombre de morts quotidiens est estimé entre 30 et 51 à Dhaka et dans les villes voisines, sans information disponible sur la situation ailleurs.
Des images et des vidéos inédites montrant des hélicoptères de police tirant au sol et des scènes de violence généralisée ont fait leur apparition, poussant la diaspora bangladaise à réagir. Les communautés de la diaspora ont organisé des manifestations dans les principales villes du monde, des Émirats arabes unis à Berlin en passant par New York, pour réclamer la démission de Hasina.
L'administration Hasina a longtemps projeté une image de développement, de stabilité et d'ordre, maintenue par la force et l'intimidation. Mais cette emprise sur le pouvoir s'affaiblit.
La BCL, connue pour ses méthodes répressives sur les campus universitaires, a été humiliée et expulsée par les étudiants de plusieurs résidences étudiantes. Les tentatives du gouvernement pour reprendre le contrôle par des attaques violentes contre les étudiants se sont retournées contre lui, la violence se propageant chaque jour et suscitant l'indignation morale face au meurtre d'étudiants innocents. De plus en plus de groupes qui ne s'intéressent pas aux emplois dans le service public, notamment les étudiants des madrassas et des universités privées, se joignent aux manifestations.
Après la mort de centaines d’étudiants depuis le 18 juillet, dont beaucoup étaient issus de familles urbaines aisées, le discours au sein de l’élite éduquée pourrait également changer. Jusqu’ici indifférente aux manifestations menées par le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), cette frange de la population pourrait changer de position si les violences se poursuivent.
Le gouvernement de Hasina, qui s’est maintenu au pouvoir pendant trois élections consécutives largement critiquées pour leur fraude, se trouve aujourd’hui dans une situation critique. Son impopularité, longtemps masquée par la répression et la peur, est désormais mise en évidence. Ce qui a commencé comme un mouvement axé sur la réforme des quotas est devenu le reflet d’un mécontentement social profondément ancré.
Les manifestations semblent avoir brisé le climat de peur qui règne depuis longtemps sur la scène politique du Bangladesh. Il est remarquable de constater que les Bangladais, tant au Bangladesh qu'à l'étranger, appellent désormais ouvertement à la démission de Hasina, une demande qui aurait été impensable il y a seulement une semaine.
L’Alliance des étudiants du Bangladesh, qui regroupe plusieurs associations étudiantes d’universités de pays occidentaux, a présenté une liste de revendications en cinq points, parmi lesquelles la démission immédiate de Hasina et de tous les membres du gouvernement, ainsi que la dissolution du parlement actuel.
Les réseaux sociaux sont inondés de mèmes, de slogans et même de chansons exigeant la démission du Premier ministre, démontrant un changement soudain et radical dans l'opinion publique.
Cette vague de contestation sans précédent, qui va des manifestations de rue à l’activisme numérique, témoigne d’une érosion significative du contrôle du gouvernement sur le discours public. La propagation rapide du sentiment anti-gouvernemental, même au sein de la diaspora, souligne la profondeur et l’ampleur de la frustration suscitée par le régime de Hasina. À mesure que le mouvement prend de l’ampleur, il remet en cause non seulement des politiques spécifiques, mais aussi la légitimité même de l’administration actuelle.
Le sentiment que le Bangladesh a atteint un point de non-retour est palpable. La réaction violente du gouvernement contre des étudiants innocents et l'expulsion humiliante de la BCL des campus universitaires ont provoqué un changement dans la conscience publique. Le pays ne peut pas revenir à ses anciennes habitudes pour plusieurs raisons.
La première raison est la peur des représailles. Beaucoup pensent que si la situation se normalise, le gouvernement poursuivra et punira sans pitié tous les manifestants, comme il l’a fait en 2018, lors du premier mouvement de réforme des quotas. Cette peur pousse de nombreuses personnes à considérer le soulèvement actuel comme leur dernier rempart.
Deuxièmement, les manifestants estiment que la question dépasse le simple pourcentage de postes au sein du gouvernement. Ils y voient une lutte pour restaurer l’égalité, la liberté et la démocratie.
Troisièmement, on se rend de plus en plus compte que le BNP, principal parti d’opposition, est incapable de se dresser face à ce régime autoritaire. Cela a conduit de nombreuses personnes à penser que leur seul recours serait de « reprendre le flambeau de la résistance ».
Avec un taux de chômage de 41 % chez les jeunes, une corruption généralisée et le blanchiment d’argent par le cercle intime de Sheikh Hasina, et une répression brutale de la dissidence, le Bangladesh était une poudrière prête à exploser. Compte tenu de l’histoire du pays en matière de soulèvements, ce n’était qu’une question de temps avant qu’une étincelle ne vienne allumer les flammes de la rébellion. Ce moment semble désormais arrivé.
Bien que le flux d’informations soit difficile à confirmer, des indices suggèrent que les affrontements pourraient avoir diminué le 21 juillet après le verdict de la Cour suprême. Cependant, avec un couvre-feu strict et des ordres de tirer à vue en vigueur, associés à une coupure totale d’Internet et des télécommunications, l’exactitude de ce récit est discutable. La coupure d’Internet suscite des inquiétudes alarmantes quant à l’ampleur de la répression et de la torture utilisées pour réprimer les manifestations.
Une question cruciale se pose : le pays connaîtra-t-il une résurgence du soulèvement massif des 18 et 19 juillet ? Ou bien sombrera-t-il dans des combats de rue et une résistance prolongés, susceptibles de paralyser l'économie et de perturber la vie quotidienne une fois le couvre-feu levé et le blocus d'Internet levé ?
Le récit soigneusement construit du Bangladesh sur le progrès économique est en lambeaux, miné par une crise financière qui dure depuis deux ans. La situation a été encore aggravée par le refus de la Chine de lui accorder un prêt crucial de 5 milliards de dollars, ce qui a mis le pays en difficulté pour importer du carburant et maintenir son industrie textile vitale. La menace imminente de retraits de fonds par les travailleurs étrangers qui se rallient aux combattants de la résistance ajoute un niveau supplémentaire d'incertitude à la situation économique du pays.
Les élections de cette année, boycottées par le BNP, ont d'abord semblé consolider l'emprise de Hasina sur le pouvoir, fondée sur la peur. Mais cette emprise s'affaiblit visiblement à mesure que la population, longtemps opprimée, retrouve sa voix. La façade de stabilité que le gouvernement a longtemps maintenue se fissure, révélant un profond mécontentement.
Cette crise représente bien plus qu’un simple bouleversement politique : elle pourrait marquer un tournant dans l’histoire du Bangladesh. L’issue de ce conflit pourrait remodeler le paysage politique, économique et social du pays pour les années à venir, avec des conséquences qui s’étendent bien au-delà de ses frontières.
