La plus grande organisation islamique d’Indonésie compromet-elle sa neutralité politique ?
L’implication politique croissante de Nahdlatul Ulama (NU), l’organisation islamique la plus importante d’Indonésie, à l’approche des élections du mois prochain, marque un changement significatif par rapport à sa philosophie fondamentale. Créée en 1926 principalement en tant qu’entité sociale, la récente incursion politique du NU soulève des inquiétudes quant à son adhésion à sa khittah originale, le cadre guidant ses principes et ses actions. Cette transformation pourrait affecter considérablement sa crédibilité auprès de ses quelque 100 millions d’adeptes et remettre en question le caractère pluraliste de la société indonésienne.
NU a toujours été un phare de modération religieuse et d’harmonie sociale en Indonésie. Il a joué un rôle crucial dans la promotion de la tolérance, du dialogue interreligieux et de la protection sociale. Cependant, son enchevêtrement politique actuel marque un changement par rapport à ces nobles objectifs.
Parmi les exemples les plus frappants figure l’implication politique du NU dans la campagne présidentielle de l’ancien gouverneur de Jakarta, Anies Baswedan, via son colistier à la vice-présidence Muhaimin Iskandar, président du National Awakening Party, qui entretient des liens étroits avec le NU. La campagne Anies a également reçu le soutien de Said Aqil Siradj, ancien président général du conseil d’administration du NU (PBNU) de 2010 à 2021. Muhaimin, et par extension Anies, bénéficie du soutien de la majorité du Mouvement étudiant islamique indonésien (PMII). , une organisation étudiante affiliée à NU. La campagne a également attiré le soutien d’établissements d’enseignement islamiques clés, tels que le Lirboyo Pesantren dans la ville de Kediri, à l’est de Java, qui, comme tous les autres, pesantren (internats religieux) sont affiliés à NU. Tous ces exemples soulignent la tendance inquiétante des organismes religieux au service d’objectifs politiques.
Cet abandon de la position traditionnellement neutre du NU a été mené par ses dirigeants, en particulier le président général Yahya Cholil Staquf, plus connu sous le nom de Gus Yahya, qui entretient des liens étroits avec le président Joko « Jokowi » Widodo. Dans une déclaration aux médias en septembre, Gus Yahya a déclaré que le président indonésien travaillait depuis longtemps en étroite collaboration avec NU et a déclaré que l’organisation ne serait « jamais trop loin » de Jokowi.
Durant le mandat de Jokowi, NU a reçu de nombreuses subventions et ses responsables ont été nommés à divers postes dans des entreprises publiques clés. En effet, Jokowi a besoin de l’aide du NU à des fins électorales, pour servir de rempart contre les groupes islamiques radicaux. Maruf Amin, l’actuel vice-président de Jokowi, est l’un des hauts responsables de NU et a officieusement soutenu la campagne présidentielle du ministre de la Défense Prabowo Subianto. Cela crée une impression de soutien indirect du NU aux candidats préférés du président. Malgré la directive de Gus Yahya demandant aux responsables politiquement actifs du NU de prendre congé de l’organisation, le secrétaire général du NU, Syaifullah Yusuf (Gus Ipul), a poursuivi son engagement politique. En témoignent les rapports des médias indiquant que des volontaires liés à Gus Ipul font activement campagne en faveur de la campagne Prabowo-Gibran. De tels développements jettent le doute sur la détermination du NU à maintenir son impartialité politique.
Khofifah Indar Parawansa, qui est à la fois gouverneur de Java Est et présidente de Muslimat, l’organisation de femmes de NU, illustre l’imbrication de l’autorité religieuse et des intérêts politiques. Son soutien ouvert au parti Prabowo-Gibran risque d’aliéner les membres qui s’attendent à ce que le NU reste politiquement neutre. De même, Erick Thohir, président de l’Institut d’études et de développement des ressources humaines du PBNU et ministre des entreprises publiques, fait campagne pour le duo Prabowo-Gibran. En outre, Yaqut Cholil Qoumas, président du Mouvement de jeunesse GP Ansor, l’organisation de jeunesse islamique de NU, qui est simultanément ministre des Affaires religieuses et frère cadet de Gus Yahya, a fait plusieurs déclarations qui semblent soutenir le parti politique Prabowo-Gibran. billet.
Yenny Wahid, personnalité éminente du NU et chef de la division de développement stratégique de l’innovation du PBNU, est un autre excellent exemple de l’évolution des dirigeants vers l’engagement politique. Sa décision de rejoindre l’équipe de campagne de Ganjar-Mahfud, tirant parti de son influence significative au sein de NU, reflète une tendance selon laquelle l’engagement politique éclipse l’engagement de l’organisation en faveur du bien-être religieux et social.
L’engagement politique des dirigeants du NU contredit non seulement les principes fondateurs de l’organisation, mais menace également le tissu pluraliste de la société indonésienne. À mesure que ses dirigeants se laissent entraîner dans la politique partisane, le NU risque de devenir un pion politique, érodant son autorité morale et la confiance de millions de personnes. Cette politisation pourrait favoriser les divisions sectaires, affaiblir la cohésion sociale et remettre en question les fondements de la démocratie indonésienne.
La profonde implication du NU dans les élections de 2024 représente un changement crucial de son rôle de force stabilisatrice dans la société vers celui d’une entité politiquement active. Cette transition, loin d’être neutre, positionne le NU comme un acteur important de la dynamique politique, compromettant potentiellement son impartialité et son rôle rassembleur. L’engagement politique actif de personnalités comme Gus Ipul et Khofifah indique un conflit d’intérêts, susceptible de nuire à la réputation de NU en tant que gardien des valeurs islamiques et de la justice sociale – et de compromettre son impartialité perçue.
L’engagement politique du NU risque d’aliéner ses divers partisans. Le NU risque de perdre sa force fondamentale en prenant parti dans des compétitions politiques – le pluralisme qui a été sa marque de fabrique. Cette politisation met également en péril le rôle historique de NU en tant que médiateur et bâtisseur de paix. Traditionnellement, NU a comblé les divisions sociétales et promu l’harmonie interconfessionnelle. Son implication politique menace cependant ce rôle, dans la mesure où les alignements politiques pourraient être perçus comme une adhésion à des idéologies ou à des intérêts spécifiques.
De plus, les distractions politiques pourraient détourner le NU de ses missions sociales et éducatives essentielles. Son réseau d’écoles islamiques, de programmes sociaux et d’orientation religieuse est au cœur de sa mission. La politique pourrait détourner l’attention et les ressources de ces activités clés, au détriment des communautés qui dépendent du soutien du NU.
L’approche de Yenny Wahid semble offrir une perspective différente et plus prometteuse. En prenant un congé de son rôle au sein du PBNU pour s’engager en politique, elle démontre qu’elle est consciente du conflit potentiel entre son engagement politique et ses responsabilités au sein de l’organisation. Cette décision, bien que reflétant les défis au sein du NU concernant l’intersection de la religion et de la politique, montre une tentative de maintenir un certain degré de séparation entre ses aspirations politiques et son rôle dans l’organisation.
La politisation rampante du NU pourrait potentiellement influencer d’autres organisations religieuses en Indonésie, conduisant potentiellement à une tendance plus large d’entités religieuses à entrer en politique. Cela pourrait à son tour aggraver les divisions sociétales et remettre en question les fondements laïcs de la démocratie indonésienne.
Le NU doit réévaluer sa trajectoire et réaffirmer son rôle d’institution religieuse et sociale non partisane. Il devrait promouvoir la compréhension religieuse, le bien-être social et l’unité nationale plutôt que les ambitions politiques. Ne pas le faire pourrait diminuer sa position et contribuer à éroder la confiance dans les institutions religieuses en tant que guides impartiaux et autorités morales.