La dernière politique de sécurité nationale des Philippines : prudente mais claire
Sur cette photo fournie par la Garde côtière philippine (PCG), un navire de la Garde côtière chinoise navigue à proximité d’un navire de la PCG lors de sa patrouille à Bajo de Masinloc, à 124 milles marins à l’ouest de la province de Zambales, dans le nord-ouest des Philippines, le 2 mars 2022.
Crédit : Garde côtière philippine via AP
Au cours de l’année écoulée, les Philippines ont souvent fait la une des journaux internationaux.
Le gouvernement du pays a exprimé à plusieurs reprises ses inquiétudes face aux actions agressives de la Chine en mer de Chine méridionale, comme une série d’affrontements entre les navires des garde-côtes chinois et les garde-côtes philippins (PCG), la dernière fois début août.
En conséquence, Manille n’a eu d’autre choix que de rééquilibrer ses relations avec Washington, comme en témoigne l’extension cette année de l’accord de coopération renforcée en matière de défense de 2014 de cinq à neuf installations militaires mutuellement convenues où les forces armées américaines peuvent opérer. La Chine a affirmé que cette décision était provocatrice et déstabilisatrice, et est même allée jusqu’à accuser les Philippines d’ingérence dans les relations entre les deux rives du détroit. En réponse, le secrétaire philippin à la Défense, Gilberto Teodoro, a souligné que le pays, comme tous les pays, a le droit de moderniser sa défense et de former des alliances sans que d’autres pays aient besoin de remettre en question ce droit.
Malgré les accusations chinoises, le président philippin Ferdinand Marcos Jr. s’est montré sensible à la nécessité d’adopter des approches diverses face aux défis de politique étrangère et de sécurité du pays. Depuis des mois, le président philippin appelle l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) à conclure les négociations sur le code de conduite en mer de Chine méridionale. Il a également exprimé son soutien aux initiatives maritimes de l’ASEAN, telles que la 17e réunion des chefs de marine de l’ASEAN, le 2e exercice naval multilatéral de l’ASEAN et les lignes directrices pour l’interaction maritime, afin de renforcer la bonne volonté avec les voisins régionaux en mer.
Tous les défis auxquels le pays est confronté soulignent la nécessité d’une orientation stratégique globale qui puisse guider les activités de Manille sur la scène internationale. La Politique de sécurité nationale (NSP) 2023-2028, publiée le mois dernier, prévoit exactement cela : un document politique prudent mais lucide sur la position du pays et les défis actuels. Même s’il évolue prudemment dans un paysage sécuritaire incertain et dangereux, le gouvernement philippin commence à mieux comprendre ce paysage et les mesures à prendre pour y remédier.
Selon le document, les Philippines envisagent « une nation maritime et archipélagique libre, résiliente, pacifique et prospère, en paix avec elle-même et ses voisins, rendue possible et protégée par un système de défense et de sécurité publique fiable ». Pour que cela se produise, le NSP affirme qu’une politique réussie doit commencer par « la prise de conscience et l’évaluation des facteurs et des circonstances » qui façonnent la sécurité des Philippines.
D’une part, le NSP adopte un ton beaucoup plus sombre que les documents précédents. La concurrence entre les États-Unis et la Chine a été identifiée comme une source potentielle de conflit, ajoutant encore plus de tension à une situation déjà instable. Le NSP reconnaît également que la Russie a « envahi » Ukraine en février 2022, affectant la sécurité alimentaire et énergétique et affaiblissant les normes internationales. Pendant ce temps, la mer des Philippines occidentales, la partie revendiquée par Manille de la grande mer de Chine méridionale, « reste un intérêt national primordial » alors que d’autres « pays demandeurs » répudient la sentence arbitrale qui a statué principalement en faveur des Philippines en 2016. Ces relations sont devenues une « préoccupation majeure » pour Manille car elles menacent de compromettre « la stabilité économique, un afflux potentiel de réfugiés et le bien-être des populations d’outre-mer ».
Par-dessus tout, le nouveau NSP mérite des éloges car il hiérarchise les intérêts de sécurité nationale des Philippines. Le principal intérêt en matière de sécurité n’est autre que la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale. À son tour, le NSP place « la défense et la sécurité militaire » au cœur de son programme. D’après ce que présente le NSP, le gouvernement Marcos reconnaît l’importance d’une posture de défense crédible, qui constitue un élément essentiel pour d’autres intérêts de sécurité nationale, tels que la sécurité humaine et l’unité politique.
Le gouvernement philippin a déjà défini les voies et moyens pour poursuivre ces objectifs. Il s’agit notamment de l’adoption du concept de guerre multidomaine ; intégrer l’armée aux outils diplomatiques, économiques et sociaux de l’art de gouverner ; aligner ces outils de gouvernance avec ceux de son allié américain et d’autres partenaires pour le renforcement des capacités, la planification et l’interopérabilité ; développer sa force de réserve pour l’aide humanitaire et la réponse aux catastrophes ; employer les Forces armées des Philippines (AFP) uniquement à des fins de défense extérieure ; et revitaliser le programme de posture de défense autonome.
En ce qui concerne le maintien des principaux intérêts sécuritaires du pays, les actions incessantes de la Chine en mer de Chine méridionale rendent service aux Philippines en les forçant à prendre la défense au sérieux en tant que branche de leur politique étrangère. Par exemple, Marcos a promis que son gouvernement réagirait à la dernière carte en « 10 traits » de Pékin, en commençant par une protestation diplomatique. Début août, le Sénat philippin a adopté une résolution condamnant les actions de la Chine en mer de Chine méridionale et renforçant les mesures unilatérales et multilatérales pour donner du poids à cette condamnation. Mais la véritable bataille viendra des mesures législatives visant à financer les programmes de modernisation de l’AFP et du PCG afin de combler les lacunes logistiques et matérielles.
Il existe également d’autres défis. En août, la Chine et les membres fondateurs du bloc économique BRICS ont accueilli l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Éthiopie, l’Égypte, l’Argentine et les Émirats arabes unis comme nouveaux membres. Les Philippines voudront peut-être capitaliser sur les opportunités économiques liées à des relations plus étroites avec les BRICS en emboîtant le pas, mais cela pourrait compliquer les choses dans le domaine politico-sécuritaire. Manille doit donc s’engager dans une diplomatie sérieuse pour faire pression sur son allié américain afin qu’il fasse davantage d’efforts pour combler les lacunes du cadre économique indo-pacifique pour la prospérité, afin de compléter son aide actuelle, centrée sur l’armée, et d’empêcher Washington de perdre du terrain dans le Sud-Est. Asie.
Un analyste de la politique étrangère a récemment observé que l’administration Marcos avait réussi à détoxifier l’establishment philippin en suivant ce que beaucoup considéraient comme la politique d’apaisement de son prédécesseur envers la Chine. Même si c’est vrai, l’administration actuelle ne peut désormais être évaluée qu’en fonction de ses propres normes. Seul le temps nous dira si Marcos dépassera les performances actuelles de cette administration en atteignant les objectifs souhaités et en les maintenant au-delà de sa présidence.