La liberté de la presse en Corée du Sud sous le feu des critiques
Si vous pensez que la notion de manipulation de l’information et de censure est reléguée aux sombres annales des régimes autoritaires, il est temps de reconsidérer cette idée. Un examen plus approfondi de la situation en Corée du Sud dresse un tableau d’une différence déconcertante.
Les actions de l'administration actuelle du président Yoon Suk-yeol jettent une ombre sur la liberté de la presse en Corée du Sud. La création d’une équipe spéciale de procureurs d’enquête ciblant les journalistes pour diffamation, couplé aux perquisitions répétées dans les salles de rédaction et au domicile des journalistes, témoigne d'un mépris troublant pour les libertés démocratiques. Des affaires très médiatisées impliquant plus de six grands médias nationaux mettent en évidence un effort systématique visant à intimider la presse et à étouffer la dissidence.
L'attitude agressive de l'administration Yoon à l'égard des médias marque une escalade significative des poursuites judiciaires contre les journalistes. Au cours des 18 premiers mois seulement de la présidence de Yoon, son gouvernement a engagé des poursuites pour diffamation liées à au moins 11 cas de couverture, une nette augmentation par rapport aux mesures prises par son prédécesseur au cours des quatre années précédentes. Ce changement témoigne d’une stratégie délibérée visant à faire taire les voix critiques des médias par le biais d’intimidations juridiques.
Les tactiques employées par l’administration Yoon vont au-delà des actions en justice. Les médias sont également confrontés à un étranglement financier, à des perturbations opérationnelles et à d’autres formes de coercition, illustrant une approche multiforme visant à réprimer les voix dissidentes. L'un des plus grands diffuseurs publics du pays, MBC, par exemple, a dû faire face à de graves répercussions, notamment interdiction de monter à bord de l'avion présidentiel et la perte des revenus publicitaires du gouvernement suivant couverture critique de Yoon.
Les développements récents, comme la décision soudaine du gouvernement vente de la participation majoritaire dans la chaîne de télévision YTN à une entité privée et les réductions du financement du radiodiffuseur public TBS soulèvent de nouvelles inquiétudes concernant le paysage médiatique sud-coréen. Le gouvernement n’a pas donné à ces radiodiffuseurs publics suffisamment de temps pour adapter leur modèle économique avant de prendre ces décisions, mettant ainsi leur existence même en danger.
De plus, la Commission coréenne des communications (KCC), historiquement un organisme de réglementation équilibré et impartial, a été réduite de manière controversée à seulement deux membres, tous deux nommés directement par Yoon. Cet écart par rapport à sa structure traditionnelle de cinq membres, qui comprenait des nominations des partis au pouvoir et de l'opposition, mine le rôle du KCC en tant que régulateur impartial des médias. De telles mesures ont été prises malgré avertissements judiciaires sur leur légalité.
Au milieu de ces développements inquiétants, la pression du gouvernement ne s'est pas limitée aux organes de presse ; cela a également affecté un centre de vérification des faits non partisan et à but non lucratif basé à l’Université nationale de Séoul. Ce service essentiel de vérification des faits, géré par l'Institut de recherche en communication de l'Université nationale de Séoul en collaboration avec 32 médias, a été confronté à un licenciement à la suite de critiques et de poursuites du parti au pouvoir concernant le prétendu biais du contenu vérifié sur la plateforme. Naver, la principale plateforme de recherche de Corée du Sud, a brusquement mis fin à son soutien financier et opérationnel à SNU FactCheck après ces incidents.
Le Ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme (MCST) a mis en place un «Centre de signalement et de conseil sur les fausses nouvelles» à la Fondation coréenne de la presse, ce qui marque une nouvelle avancée dans la quête du gouvernement pour contrôler les récits médiatiques. Visiblement destinée à identifier les incidents de « fausses nouvelles », cette initiative soulève d’importantes inquiétudes quant au potentiel d’abus et à l’érosion accrue de la liberté de la presse. En qualifiant les fausses nouvelles d’« épidémie d’informations malveillantes » et en créant son propre centre d’information et de conseil, le gouvernement s’érige en fait en arbitre de la vérité.
La communauté internationale a constaté l'érosion de la liberté de la presse en Corée du Sud, avec médias étrangers et même le rapport 2022 sur les pratiques en matière de droits de l'homme du Département d'État américain documentant l'environnement hostile auquel sont confrontés les journalistes en Corée du Sud. Ces rapports ont mis en lumière les efforts du gouvernement pour porter atteinte à la liberté de la presse, soulevant des inquiétudes quant à l'état de la démocratie en Corée du Sud.
Les élections législatives de 2024 seront la première occasion d’observer les effets sur la crédibilité et la fiabilité de l’information dans une campagne électorale. La Corée du Sud est à l’aube de l’une de ses élections les plus critiques, dans un contexte d’attaques croissantes contre sa liberté de la presse et les fondements mêmes de ses institutions démocratiques.
Les événements qui se déroulent en Corée du Sud nous rappellent cruellement la fragilité des libertés démocratiques. Lorsqu’un gouvernement élu par le peuple utilise ses pouvoirs administratifs pour étouffer la dissidence et manipuler les médias, cela frappe au cœur même de la démocratie.
La démocratie prospère grâce à l’échange ouvert d’idées et à la capacité de la presse à fonctionner sans crainte. Quand ces principes sont compromis, c'est le signal que la santé de la démocratie est en danger. Dans cette optique, la situation en Corée du Sud n’est pas seulement un problème national mais un avertissement mondial : la démocratie, si elle n’est pas farouchement protégée, peut être minée par les mécanismes mêmes conçus pour la faire respecter.